Donnons-nous du temps et de la joie pour la bienveillance

 


"Donnons-nous du temps et de la joie POUR la bienveillance.
Redonnons-nous du temps et de la joie PAR la bienveillance"

Tel est le slogan que j'ai pensé pour mes travaux sur une Société et des Territoires de la Bienveillance. C'est également le principe premier des 10 principes que j'ai proposés pour cheminer vers une telle société.

Je vais décomposer en trois ce slogan :
  • le rapport au temps et l'utilisation du verbe "donner" ;
  • la rapport à la joie ;
  • les effets de la bienveillance sur le temps et la joie.

Donnons-nous du temps POUR la bienveillance

Du temps, vous dis-je !

Je partage depuis le début de mes travaux de modélisation sur la bienveillance en 2019 une conviction et un leitmotiv : "Donnons-nous du temps pour la bienveillance !". Une conviction qui s'appuie sur un constat et une idée directrice :

  1. une grande partie de l'absence de bienveillance que l'être humain manifeste envers la planète et envers ses habitants est liée à un manque de temps ("j'en suis conscient, mais je n'ai pas le temps !"). Je le relie aussi avec mon échelle de la bienveillance à 3 segments, dont le segment du milieu est "l'absence de bienveillance" causée notamment par le manque de temps.
  2. pour prendre soin de la planète, des personnes que l'on aime, de la qualité de ce que l'on fait, pour prendre soin de nous-mêmes, de nos relations, ... nous devons nous donner du temps, un temps juste.

Donner, vous dis-je !

L'usage de la première personne du pluriel ("donnons-nous") plutôt que la deuxième personne du singulier ("donne-toi") pour être familier ou la 2ème personne du pluriel pour l'être moins ("donnez-vous") est totalement volontaire. La première personne du pluriel exprime trois aspects complémentaires :
  1. chacun de nous peut se saisir de cet enjeu à sa propre échelle
  2. il s'agit d'être ni impératif ni culpabilisant
  3. si chacun de nous s'en saisit de son côté, ce sera largement insuffisant : il faut que collectivement nous nous donnions du temps, que nous le choisissions ensemble et que ce temps que nous voulons nous accorder nous le soit aussi par celles et ceux qui nous entourent, et par les collectifs et communautés auxquels nous appartenons et dont nous faisons plus au moins partie en fonction de notre sentiment d'appartenance. Il faut aussi que cela tienne d'une décision collective co construite.
Le choix du verbe "donner" est capital : il s'agit d'un cadeau que l'on se fait, individuellement et collectivement. "Donnons-nous du temps" étant étroitement relié avec l'approche gagnant-gagnant, un autre principe premier de la société de la bienveillance telle que je l'ai modélisée. 

"Donner" est aussi un choix réfléchi pour remplacer deux formulations peu entraînantes que l'on entend très très souvent : "accepter de perdre du temps ... pour en gagner ensuite" et "prendre du temps". Deux formulations qui sentent fort le sacrifice. Il y a en quelque sorte un cheminement à parcourir décrit dans le schéma ci-dessous que j'ai réalisé il y a quelques années pour laqvt.fr dans le cadre de l'initiative "Le temps sur la table" :



Une question d'espace et de temps

Dans "D'un monde à l'autre", Frédéric Lenoir explique qu'avec la sédentarisation qui a débuté il y a environ 12 000 ans, la sacralisation s'est renversée entre deux conditionnements fondamentaux : l'espace et le temps. Avant la sédentarisation, l'espace, la nature, l'environnement étaient sacrés. Le temps étant considéré comme cyclique. Depuis et de plus en plus, - notamment avec l'apparition des religions monothéistes - l'espace est devenu un objet d'exploitation (maintenant y compris au niveau de l'espace et des astres au-dessus de nos têtes) et le temps est devenu sacrément sacré. Le temps devenant linéaire, défini par un début, une fin et surtout une fin dans le sens "objectif". 

Je considère que "temps" et "objectifs" sont devenus complètement imbriqués formant une double aliénation et un double sujet d'angoisse : "je n'ai pas le temps" et "je n'arrive pas à atteindre mes objectifs". Un couple d'autant plus infernal que le temps et les objectifs sont souvent unilatéralement imposés par des personnes ou autorités déconnectées des réalités du terrain. Ce qui provoque presque inévitablement des situations où dès le début de ce segment de temps (top départ - top fin) la personne embarquée dans cette course contre la montre sait que la chose n'est pas faisable sauf :
  • en dépassant les délais,
  • en faisant mal la chose ou/et en étant déloyal,
  • en mordant sur d'autres sphères de vie pour respecter les délais, avec tous les impacts négatifs possible en terme d'équilibre des sphères de vie et de fatigue
Des situations que j'ai coutume d'appeler des boulets boules de neige conjuguant deux idées :
  • les objectifs qu'on ne peut pas atteindre constituent des boulets qu'on se traîne ;
  • et plus on avance, plus on prend le risque que le retard s'accumule, et donc les boulets prennent inexorablement du poids au fur et à mesure qu'on avance.
Ces trois stratégies pouvant en plus se conjuguer. Et croyez le spécialiste de la Qualité de Vie au Travail (QVT) et des risques psychosociaux (RPS) que je suis, on voit tous les effets délétères de cette hyperconnexion au temps, aux objectifs, à la croissance, à l'urgence, ... sur la santé humaine et et sur la santé de la planète.

Compte tenu de l'état alarmant de la planète et de l'état inquiétant de la santé physique, psychique et social des humains, il y a donc en quelque sorte un double enjeu, une double urgence :
  • prendre soin de nos écosystèmes : resacraliser l'espace et porter notre attention au-delà de notre espace de proximité
  • nous désaliéner du temps : désacraliser le temps court ... et avec ... les urgences, les objectifs (à la mode du toujours plus, toujours plus vite, toujours moins coûteux), le progrès (à la mode sans conscience, ruine de l'âme), la croissance (vue comme seul paradigme, le cas échéant repeint en vert), la possession (façon "touche pas au grisbi"), l'expression exacerbée de l'ego, l'excellence à toutes les sauces, la jeunesse éternelle (et l'idée de corps augmenté), la satisfaction de plaisirs vides de sens, ...

Se donner le temps par le bon bout

Pour nous donner du temps POUR la bienveillance, il ne suffit pas de le dire. 

En quelque sorte, nous pouvons prendre le chemin de nous affranchir de la pression du temps selon les deux idées suivantes :

1/ Donnons-nous du temps pour faire le bien (bienveillance), le faire bien (qualité) et avec suffisamment de légèreté (joie); avec une petite musique relaxante dans l'air que l'on peut faire sienne autant que possible : "Ca prendra le temps que ça prendra"
2/ Et s'il devait vraiment y avoir une importance à le faire pour un délai donné qui n'est pas à notre portée ou faire face à un danger présent ou qui s'approche auquel on sent impuissant à notre échelle (notamment l'emballement climatique, les impacts sanitaires et sociaux de la pandémie covid-19), coopérons dans la détermination et l'enthousiasme avec d'autres individus, collectifs, communautés, écosystèmes, organismes vivants, ...

Pour se désaliéner du temps, il s'agit 
  • plutôt que de pratiquer un corps à corps difficile, voire présomptueux, avec ce temps oppressant pour tenter de (re)gagner des marges de manœuvre (pression qui nous est infligée ou que nous nous auto-infligeons y compris quand on arrive à la retraite), 
  • il est plus agile, astucieux, malin, plaisant de changer de perspective et de priorité (re)créer du sens et de la proximité avec ce qui nous entoure. C'est ce qu'Hartmut Rosa appelle la "résonance". En effet, selon lui, la solution face à l'accélération du temps n'est pas la décélération mais la résonance avec ce qui peut faire sens et relation autour de nous, ce qui peut nous toucher et que nous pouvons toucher. C'est aussi ce à quoi nous invite Sébastien Bohler dans son dernier livre "Où est le sens".

Donnons-nous de la joie POUR la bienveillance

La joie, que l'on peut appeler aussi bonne humeur, enthousiasme, ... si le terme "joie" gratouille, stimule le désir d'être bienveillant et mobilise la volonté, la détermination de faire appel à la raison et ne pas se laisser dominer par les émotions négatives (colère, peur, ...) et la facilité.

Le schéma ci-dessous montre tout l'enjeu de faire monter la joie en nous pour aborder la bienveillance avec détermination, de faire fonctionner sa raison et sa lucidité, et de ne pas "lâcher le morceau" car la bienveillance est exigeante ... et joyeuse.




Le schéma montre aussi toute l'enjeu de savoir basculer d'une émotion négative à une émotion positive pour ne pas se laisser créer un cercle vicieux de ressentiment, de réactions épidermiques ou de facilité.

Redonnons-nous du temps et de la joie PAR la bienveillance

Je veux ici éclairer un enjeu capital de cercle vertueux : grâce à la bienveillance, plus nous créons de la proximité avec un individu, un être vivant, un écosystème ou nous-mêmes, plus nous nous (re)connectons à lui, plus nous allons lui consacrer du temps, plus le temps que nous allons lui consacrer nous semblera juste, plus nous en tirerons des gratifications, plus nous le gratifierons, plus nous aurons envie de prendre soi de lui et ... plus nous nous libérerons de l'omniprésence et de la pression du temps et nous nourrirons notre joie de vivre.

Ainsi mon leitmotiv "Donnons-nous du temps et de la joie POUR la bienveillance" se double d'un "Redonnons-nous du temps et de la joie PAR la bienveillance" qui constitue un bénéfice plus qu'un sujet d'action en soi. 

La bienveillance nous donnera du temps pour donner encore plus de bienveillance, non pas dans une fuite en avant de la bienveillance qui finirait par nous remettre de la pression, mais selon une spirale ascendante inspirante qui se renforce, sans forcer, pour le bénéfice de nos écosystèmes et pour nourrir la joie de vivre.

Consacrons-nous, chacun, et collectivement, à protéger, préserver, cultiver, sacraliser, gratifier ce et ceux qui contribuent vraiment à notre vie, à nos besoins essentiels : respirer, nous nourrir sainement, nous hydrater, maintenir notre température, notre sommeil, notre hygiène corporelle, notre bien-être physique, psychique et social (et donc notre besoin de liens sociaux), la paix en nous et au sein des différents écosystèmes auxquels nous appartenons.

Le temps (re)deviendra un repère cyclique, un peu comme une respiration bien présente que l'on oublie mais que l'on peut aussi vivre en conscience de temps en temps et que l'on peut remercier plutôt que maudire. Un temps avec qui vivre en paix et en symbiose.


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