dimanche 21 juillet 2024

Ce que j'apprécie devient précieux et induit la bienveillance

Il y a une douzaine d'années, J'ai commencé à découvrir les bienfaits de l'appréciation à la lecture du livre  "Merci ! Quand la gratitude change la vie " de Robert Emmons, reconnu pour être un des spécialistes mondiaux du sujet de la gratitude. 

Au détour d'une page où il évoque les impacts de la gratitude sur le rythme cardiaque, il rapporte que l'appréciation est l'activité qui assure la plus grande régularité du rythme cardiaque.

Quand je me suis moi-même mis à modéliser à mon échelle la gratitude, l'appréciation m'est apparue comme une étape centrale - la deuxième - d'un processus de la gratitude que j'ai modélisé de la façon suivante :



Apprécier & co

Mais avant d'aller plus loin, je vous propose de considérer en quoi le verbe "apprécier" a plusieurs sens possibles (polysémie) :

  1. Un sens voisin du verbe aimer (ou non) : j'apprécie la glace à la vanille et je n'apprécie pas les gens en retard.
  2. Evaluer quantitativement. Ce peut être la valeur vénale d'un bien, d'un objet. Ce peut être une évaluation approximative d'une chose mesurable, et éventuellement très à la louche en utilisant notamment le sens de la vue ; exemple : j'apprécie la distance qui me sépare de cette forêt
  3. Un jugement de valeur que l'on porte sur quelqu'un, quelque chose, un événement, une situation, une action sans que pour autant cela porte conséquence ni pour soi, ni pour autrui
  4. Et puis le sens qui m'intéresse particulièrement : donner de la valeur à un fragment de notre vie, en ressentir une sensation physique agréable qui fait de l'appréciation une émotion positive. Et si ce moment peut être attribué pour tout ou partie à autrui (et c'est souvent le cas dans une approche d'interdépendance de nos vies), alors l'appréciation devient une étape d'un processus de gratitude qui va nous conduire à ressentir l'émotion forte de gratitude, puis à nous donner l'opportunité d'exprimer notre gratitude (cf schéma précédent).
Il y a aussi des mots de la famille du verbe "apprécier" dont je voudrais dire quelques mots :
  • l'adjectif "appréciatif". C'est un mot dont j'ai fait la connaissance quand je me suis intéressé à l'Exploration Appréciative (Appreciative Inquiry), une méthode que j'ai particulièrement utilisée dans le cadre de mon activité professionnelle de sensibilisation et de culture de la Qualité de Vie au Travail. Une méthode qui invite à un voyage collectif qui fait émerger - dans l'utilisation que j'en ai faite - les aspects appréciés de la vie au travail, sans pour autant occulter les améliorations que l'on souhaite et dont on peut être actrice ou acteur, individuellement et collectivement. Mais il s'agit bien d'une exploration biaisée positivement : on ne va pas formuler directement ce qui ne va pas.
  • le nom "appréciation", qui au-delà des sens donnés précédemment fait référence, au pluriel, aux commentaires qui accompagnent les notes données par les enseignants à l'école. Des commentaires qui peuvent avoir un biais positif pour encourager les élèves.
  • l'adjectif "appréciable" dont le sens premier est "qui peut être apprécié", mais qui bien souvent est utilisé en tant que litote avec un "c'est appréciable" qui veut dire en réalité "j'apprécie" ... alors, pourquoi ne pas le dire carrément ?
  • le verbe "réapprécier" utilisé par Daniel Goleman dans son livre "Cultiver l'intelligence relationnelle". Un verbe pour caractériser une action de psychothérapie visant à réévaluer des peurs dans le cadre de phobie pour leur donner progressivement une intensité moins forte. En ce sens, "réapprécier" prend le sens de "déprécier" la peur.
  • et je finis par un cousin éloigné qui a la même racine latine et faisant référence au prix : "précieux". Et j'ai l'idée personnelle qu'apprécier, cela peut être l'opportunité de rendre précieux l'objet de l'appréciation, et donc amener à une prise de conscience qu'il faut y porter attention et en prendre soin. Je reviendrai plus loin dans l'article sur le lien entre appréciation et bienveillance, puis sur la responsabilité de cultiver, protéger voire défendre de manière bienveillante ce qui nous est précieux et qui se dégrade ou est/serait menacé.
Ce sur quoi porte l'appréciation est fortement multiple : quelqu'un, un être vivant autre qu'humain, en général (j'apprécie les chiens) ou en particulier (j'apprécie le ronron de mon chat), à un objet, à une situation, à un acte, à un écosystème d'appartenance, à une aide, à une quantité de travail dépensée, au résultat obtenu, à des qualités, des talents, à tout ce qui met en branle les sens, à un paysage ... 

Et puis, dans cet période post électorale de l'été 2024, il y a quantité de choses que l'on peut apprécier diversement : notre système démocratique, l'égalité entre les femmes et les hommes, notre système social, l'éducation nationale, notre système de santé, nos infrastructures de transport, la préservation de l'environnement, la culture, la laïcité,  ... et pour certains, la place de la France dans le monde, son histoire, les acquis sociaux et ce en quoi peut se dégager une autre émotion : la fierté.

Apprécier concerne le moment présent, le passé, à l'avance dans la perspective d'un moment qui est prévu comme agréable, l'attente de ce moment pouvant être apprécié aussi en soi.

Apprécier la vie

Un jour, j'ai reçu en cadeau une carte au format carte postale avec ces quelques mots : "Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce que l'on possède". Une forme d'antithèse de la société de consommation qui est basée sur le désir de ce qu'on n'a pas.

Quelques temps plus tard, je suis tombé sur quelques mots prononcés par le psychiatre et écrivain Christophe André : "Tout ce dont j'ai besoin est déjà là". Phrase extraite de la 21ème méditation du CD accompagnant son livre "Méditer, jour après jour".

Cette phrase m'en a inspiré une autre dans un style interrogatif :

Je m'en suis expliqué dans l'article du même nom.

Pour répondre à cette question, il s'agit d'entrer dans un travail d'introspection appréciative, et notamment par rapport aux besoins essentiels. L'article en question en dresse une liste proposée par Virginia Henderson en 1947. Il ne s'agit en aucun cas d'une approche de pensée positive (méthode Coué). Car quand quelque chose ne va pas, il n'y a aucune raison de la mettre sous le tapis.

En revanche, quand quelque chose va bien, il est essentiel d'en avoir conscience et de l'apprécier à sa juste valeur. C'est notamment le cas quand on est en bonne santé : il s'agit de grandement l'apprécier et de conduire sa vie pour conserver le plus longtemps possible un niveau de santé qui permet de réaliser les différentes activités auxquelles on tient.

Selon moi, apprécier la vie est la conjugaison 

  1. d'une succession d'appréciations de moments de la vie 
  2. et de moments périodiquement où l'on se pose pour faire le point sur sa vie. 
Et ce à titre individuel et aussi collectivement. C'est un cercle vertueux : plus on se donne le temps d'apprécier, plus on trouve des occasions d'apprécier.

Il s'agit aussi de faire face à un phénomène ambivalent : l'adaptation hédonique (ou hédoniste). L'adaptation hédonique a :

  • un très mauvais côté qui fait que le ressenti positif face à un événement agréable se dissipe plus ou moins rapidement ; y compris ceux qui sont exceptionnellement forts (mariage, diplôme, gain au loto, achat de sa voiture rêvée, ...)
  • un bon côté qui fait que le ressenti négatif face à un événement désagréable se dissipe lui aussi, y compris pour les drames (séparation, perte d'emploi, deuil, ...)

L'appréciation, c'est donc ce qui peut réduire, voire annihiler, l'effet négatif de l'adaptation hédonique par rapport aux événements agréables de notre vie. 

A noter qu'il ne faut pas confondre "appréciation" et "explosion de joie" ou "excitation". Car nous ne pourrions résister à une permanence d'adrénaline. L'appréciation est plutôt génératrice de sérotonine, et c'est donc bon pour le moral, pour l'humeur. 

C'est d'autant plus bénéfique quand l'appréciation est la deuxième étape du processus de gratitude qui va aussi impacter positivement autrui quand la gratitude est exprimée. J'émets tout de même une réserve : il faut que le bénéficiaire soit en capacité de bien recevoir la gratitude. J'imagine que tout le monde a croisé un jour ou l'autre une personne qui se sent gênée ou agacée par les gestes de gratitude qu'on lui donne, ce qui peut refroidir assez vite, voire entraîner des comportements d'ingratitude selon la dynamique "chat échaudé craint l'eau froide".

L'appréciation conduit à la bienveillance

Quand on apprécie quelqu'un, une chose, un écosystème en général, il vient assez spontanément l'envie, le besoin d'en prendre soin, surtout si on se dit qu'il est précieux et/ou rare.

On peut alors activer les deux dynamiques fondamentales de la bienveillance :

  • l'attention et la vigilance ("Veillance" du mot "Bienveillance")
  • et des actions concrètes pour prendre soin de ce quelqu'un, de cette chose ou de cet écosystème, pour lui faire du bien ("Bien" du mot "Bienveillance")



J'ajoute toute de même une petite réserve quant à l'appréciation des personnes : l'appréciation peut créer une dynamique de proximité si une relation s'installe. Or, la proximité peut avoir des impacts négatifs, et on le voit particulièrement dans la dynamique de la relation de couple : il y a un moment où un effet de bascule se joue et où, dans un couple, on se croit autorisé à parler crûment à l'autre (ce n'est pas forcément mutuel), et finalement quelques fois conduire à des situations où la personne avec qui on parle le plus mal, c'est la personne censée être la plus précieuse dans sa vie. Une forme de paradoxe qui existe y compris dans les couples unis.

C'est par l'appréciation que les couples unis peuvent changer ce type de comportement et retrouver plus de douceur et de respect dans leur quotidien ou dans les moments de tension.

Cultiver, protéger, défendre avec bienveillance ce qui nous est précieux

Le Président de la République a évoqué avant le premier tour des législatives 2024 la perspective d'une guerre civile en cas de victoire d'une des deux coalitions "des extrêmes" (propos qui s'ajoutent à toute une séquence depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée Nationale et que bien des commentateurs politiques analysent avec sévérité).

Dans chaque camp, ont été annoncés des programmes d'actions, dont certaines relèvent de la protection ou de la restauration de valeurs ou d'acquis sociaux. Défendre ce qui nous est précieux est donc en sous-texte ou même présenté comme tel. S'il fallait écouter à la lettre le message du Président de la République sur les risques de guerre civile, il s'agirait de sauvegarder la paix civile.

Ce qui est important à mes yeux dans la défense de ce qui est précieux, interroge doublement la bienveillance : 

  1. en quoi cette chose précieuse est plus ou moins ou pas bienveillante, et avec plus ou moins d'exclusion. En contre exemple, la race aryenne nordique (et particulièrement allemande) était précieuse dans l'esprit dérangé d'Hitler, mais avec exclusion radicale qui fait la liaison avec le deuxième point :
  2. et un aspect sur lequel j'insiste souvent parce que souvent escamoté : la méthode utilisée, le comment on restaure, comment on défend cette chose précieuse. Et mon âme, mes pores, et mon cortex préfrontal disent en cœur : il faut s'attacher à adopter un "comment" bienveillant. C'est à dire, tout le contraire du cynisme que l'on cache derrière un pragmatisme bien commode qui revient au principe délétère selon moi : "La fin justifie les moyens" (ou "on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs", ou "œil pour œil, dent pour dent"). Des mouvements illustres de non-violence ont montré que l'on peut faire avancer une société vers plus de bienveillance, AVEC bienveillance.

Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur le caractère précieux de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) et la difficulté que les organisations de l'ESS ont à considérer que les salariés et bénévoles sont aussi précieux que l'objet de ces organisations et que les bénéficiaires, adhérents, sociétaires, et clients. Autrement dit, une organisation dont le projet est explicitement bienveillant, doit aussi être bienveillante pour celles et ceux qui portent le projet, et bienveillante dans sa façon d'opérer en externe et en interne (cf notamment mon article Soyons pressés de bien donner !).

Un exemple de situation : les relations de voisinage

Je rebondis sur un autre élément d'actualité : il y a quelques jours, dans le journal de 20h de France 2, ont été évoqués les querelles de voisinage. 1/4 de la population se plaindrait de problèmes de voisinage, dont par exemple le bruit. La tranquillité, ça m'est personnellement très précieux, comme probablement beaucoup d'autres. Et j'ai vécu une période à l'âge adulte où j'ai été victime du comportement peu respectueux d'un voisin situé à l'étage en dessous de l'appartement que je louais à l'époque. Il n'était pas question que je courbe l'échine, ni que j'en arrive aux mains. J'ai utilisé plusieurs méthodes qui ont été inefficaces et j'ai fini par déménager. La bienveillance ne peut pas assurer à 100% de régler les problèmes. Et la violence ... encore moins. La médiation est une option possible, et elle a été évoquée dans le reportage en question. 

Par contre, ce qui n'a pas été dit dans le reportage, c'est l'importance de cultiver la bienveillance en amont. Par exemple, quand on veut conserver une température supportable de l'air dans son habitation, il faut examiner en quoi les solutions qu'on envisage peuvent avoir une influence négative sur ses voisins et plus globalement sur la planète et le vivant de la planète. Car avoir des voisins avec qui on est en bons termes voire en très bons termes, c'est très précieux. Le contraire peut pourrir la vie au quotidien. 

Considérons deux cas de figure de voisinage opposés, un cercle vicieux et un cercle vertueux :

  • cercle vicieux : je ne m'entends pas bien avec mon voisin, et ça m'est égal que ma façon de vivre chez moi et mes équipements lui apportent des désagréments. Après tout, je suis chez moi. C'est ma liberté. Et lui aussi se permet de m'apporter des désagréments. D'ailleurs, c'est lui qui a commencé (histoire de la poule et de l'oeuf), et c'est un prêté pour un rendu (oeil pour oeil, dent pour dent). Et la situation ne fait qu'empirer d'année en année.
  • cercle vertueux et contagieux : je m'entends bien avec mon voisin, et je l'apprécie d'autant plus que ça n'a pas été le cas avec le voisin précédent. Je fais mien le principe "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Je fais ce qu'il faut pour ne pas lui apporter des désagréments et lui aussi de son côté. Et si cela arrive, on en parle et on régule la situation pour conserver de bonnes relations. Cette bonne entente nous est précieuse et nous semble finalement facile à cultiver car on se sent bien. Elle nous a permis de mutualiser des choses entre nous (outils de jardinage, de bricolage, ...). D'autres voisins se sont inspirés de notre relation de voisinage.

Une condition sine qua non : le facteur temps

Dans le schéma de début d'article figurent des flèches pointillées de couleur verte mettant en évidence que chaque étape de ce processus de gratitude nécessite d'y consacrer du temps.

En effet, dans un monde d'accélération des rythmes et de compétition pour mobiliser notre attention, y compris en dehors de la vie professionnelle, si on ne se donne pas le temps de se poser pour apprécier mille et une choses de la vie quotidienne, on finit par ne plus rien apprécier du tout et à banaliser tous les cadeaux de la vie. Pour reprendre le contenu de la carte postale : l'enjeu est de nous donner du temps et de l'attention à ce qui nous est précieux et que l'on a déjà, plutôt qu'au désir de ce que l'on voudrait posséder et qui nous lassera bien vite une fois la chose possédée ou acquise (encore faut-il arriver à ses fins, et avec quels moyens ?).

Nous donner du temps pour apprécier la vie et les bienfaits de la vie, outre le fait que cela nous fait du bien, nous conduit à changer nos priorités et la façon dont nous remplissons l'agenda de notre vie. 

Nous donner le temps de l'appréciation et de tout les étapes du processus de gratitude évoqué dans le schéma du début de l'article conduit inévitablement à (re)mettre l'essentiel au cœur de notre vie et à lui accorder un juste temps et une juste conscience au détriment des activités qui ne nous nourrissent pas, ne contribuent pas à réaliser nos aspirations les plus profondes et à nous relier avec ce qui nous est le plus précieux.





vendredi 21 juin 2024

Chronique : La bienveillance en curseurs - Episode 1

Dans mes travaux de modélisation d'une société et de territoires de la bienveillance, la plupart des éléments centraux sur lesquels j'ai produit des articles, des schémas, des outils pratiques sont venus dans une forme de fluidité.

Il y en a un que je mets régulièrement de côté, ne trouvant pas la fluidité qui me semblerait nécessaire : la bienveillance en curseurs.

Alors, j'ai décidé d'avancer sur ce sujet en inversant ma méthode habituelle : commencer par l'écriture pour arriver à la modélisation. Je démarre ainsi l'écriture de chroniques et je tirerai le fil, nourri je l'espère par des feedbacks qui pourront m'être faits. Et c'est aussi un contexte particulier qui m'y engage. J'y reviendrais en fin de chronique.

Cet aspect de la bienveillance m'a interpellé dans notre rapport à la nourriture et aux animaux, en interrogeant mes propres pensées et comportements.

Quand j'étais petit, et probablement de manière peu originale, je répondais "vétérinaire" quand on a commencé à me demander ce que je voudrais devenir plus tard.

Quand je suis arrivé à l'adolescence, j'ai appris une manière très particulière de prendre soin des animaux : mon grand-père m'a initié à la pêche à la truite (les truites Fario pour les spécialistes) dans deux ou trois ruisseaux ou petites rivières du massif central . Des truites, j'en ai pêché quelques-unes. Elles n'ont même pas fini dans ma propre assiette car je n'en étais pas tellement friand et c'est plutôt ma famille qui en a profité, sans en faire de festins car déjà à l'époque les pêches n'étaient pas miraculeuses et les anciens, comme mon grand-père, s'en plaignaient et l'attribuaient à la pollution.

J'ai donc pêché des truites, les ai forcément fait souffrir. J'ai rejeté dans l'eau celles qui n'avaient pas la bonne taille (18 cm si je me rappelle bien) et quant à celles destinées à être mangées, j'ai mis fin à leur jour (pour leur éviter une asphyxie plus ou moins longue), selon les conseils de mon grand-père.

Je pêchais avec des appâts vivants : vers de terre, vers d'eau, sauterelles, que j'empalais sur un hameçon, et sans état d'âme particulier.

Par contre, il ne fallait pas me parler de chasse. Je ne me voyais pas tuer du gibier. Je ne me voyais pas non plus accompagner quelqu'un à la chasse en tant qu'observateur. Pour autant, je n'étais pas un opposant à la chasse, à la dénoncer.

Je me souviens d'un retour particulier de nos épopées de pêche qui nécessitaient plusieurs heures de marche aller-retour à partir du village où mes grands-parents avaient une maison de famille. Ce jour-là, dans une ferme longeant le chemin que nous empruntions, un agriculteur était en train d'égorger un cochon (une fois mort, le "cochon" devient un "porc" sur les étals des commerces). Ses cris, sa souffrance m'ont beaucoup marqué bien que n'ayant vu aucune image de cette scène. Marqué oui, mais cela ne m'a pas empêché de manger de la viande depuis.

"Deux poids, deux mesures" : telle est l'idée qui m'est venue quand j'ai voulu modéliser cet aspect de la bienveillance. Et il y a aussi "Chacun voit midi à sa porte ... et désapprouve celui qui voit et fait autrement".

Je poursuis sur la question de notre rapport aux êtres vivants et à la nourriture. Imaginons la situation où plusieurs personnes évoquent ensemble leur rapport à la nourriture, le cas échéant de manière confrontante, voire violente verbalement : 

  • une première mange de la viande à tous les repas et de toutes sortes et sans états d'âme pour les animaux en question ; elle se dit "viandarde" et le dit haut et fort,
  • une deuxième, aussi "viandarde" que la première, sauf que le vendredi, c'est place au poisson, pour des raisons religieuses,
  • une troisième mange de la viande de temps en temps, et dit s'enquérir des conditions d'élevage, de transport et d'abattage de l'animal,
  • une quatrième mange végétarien et de préférence bio,
  • une cinquième mange végan.
Peut-être que la quatrième personne va à la fois critiquer la première et la deuxième pour leur manque de cœur, la troisième parce qu'elle se cache derrière son petit doigt et trouver que la dernière en fait peut-être un peu trop, voire suit un effet de mode qui ne durera pas. La première va peut-être mépriser les quatrième et cinquième personne ou leur reprocher leur supposée ou réelle intolérance. Je reviendrai dans un prochain épisode sur le sujet de la tolérance que j'avais commencé à aborder dans mon article Tolérance ET Indignation.

En cela, je considère que chaque culture, chaque individu influencé en partie par sa culture, place son propre curseur de la bienveillance par rapport à la nourriture et les animaux qui peuvent entrer ou non dans sa composition. Par bienveillance pour les animaux ou pour d'autres raisons comme la dimension sacrée ou l'hygiène.



Plus généralement, au-delà de ce en quoi un animal peut entrer dans la composition de la nourriture, il y a aussi des curseurs culturels et individuels sur le rapport au monde animal. Sébastien Bohler dans son livre Human psycho fait référence à des études qui montrent que le niveau d'empathie de l'être humain envers une espèce autre qu'humain est inversement proportionnel à la distance qui les sépare dans l'arborescence des espèces. Notre empathie sera largement plus forte pour un singe que pour un concombre de mer.

Toujours dans le même livre, Sébastien Bohler pointe un risque sur le sujet de l'empathie : quand l'empathie est entendue de manière exclusive et en opposition - mon groupe, ma communauté en opposition à d'autres groupes ou communautés - elle fixe un curseur de la bienveillance qui  peut faire basculer de la bienveillance à la malveillance, avec une vision binaire : nous les gentils, eux les méchants. Autrement dit, si tu fais partie de mon groupe, je vais prendre soin de toi, et sinon, je t'ignore, voire je t'élimine si on pouvait te considérer comme un danger réel, potentiel, ou même imaginaire. Et même, il suffit que tu puisses simplement nous gêner pour qu'on se permette des comportements non bienveillants. Probablement que les parties sombres de l'histoire de l'humanité, les conflits et les guerres reposent sur cette conception délétère de l'empathie, souvent avec des manipulateurs à leur tête ou en coulisses ; des psychopathes dont justement deux des quatre caractéristiques (1) selon Sébastien Bohler sont la manipulation et l'absence totale d'empathie.




Or, à l'image de l'altruisme, l'empathie véritable n'est pas exclusive. C'est une attitude indépendante de qui avec on interagit, de quel individu, de quel groupe, de quelle communauté à qui on pense ou à qui on a à faire. C'est la philosophie et l'éthique que promeut Matthieu Ricard dans son livre Plaidoyer pour l'altruisme - La force de la bienveillance.

Et c'est probablement justement dans les situations où l'on se sent menacé ou simplement gêné qu'il faut activer en première intention une dimension essentielle de l'empathie : chercher à comprendre par l'observation, l'écoute, le dialogue, rechercher les ressemblances plutôt que les différences, ce sur quoi on peut s'entendre, tout en restant vigilant à fixer des curseurs de la bienveillance, des lignes en pointillés, des lignes jaunes et des lignes rouges. Une exigence et un effort de discernement.

Il y a un lien entre cet aspect des curseurs et 3 enjeux de la bienveillance fruits de mon travail de modélisation :



Une variété de lignes pointillées ou en continu, de couleur jaune ou rouge, ...  ce sera probablement mon point de départ d'un deuxième épisode à venir.

Fin de ce premier épisode qui résonne pour moi avec le choix qui nous sera fait dans quelques jours pour le renouvellement de l'Assemblée Nationale et de la gouvernance pour notre pays, en interdépendance avec tous les autres pays et autres peuples de notre planète pour y conserver ce que quantité de générations nous ont donné et laissé à notre bienveillance et notre vigilance.

Pour rappel, ma vision posée le 1ier mars 2022 d'une société et de territoires de la bienveillance.

(1) les 4 caractéristiques d'un psychopathe selon Sébastien Bohler : 
1/ un ego surdimensionné
2/ manipulation
3/ absence totale d'empathie
4/ impulsivité, irresponsabilité et persévérance dans l'erreur


jeudi 7 mars 2024

La bienveillance aux enfants victimes de violences sexuelles, contrecarrée par l'absurdité et de la surdité

En prenant de la hauteur face au fléau de l'inceste et des violences sexuelles faites aux enfants, et face aux mésaventures invraisemblables vécues par la CIIVISE, la commission en charge de ce fléau, j'observe la conjugaison de deux types de comportements qui font obstacle gravement à la bienveillance

Le premier relève de l'absurdité et le deuxième de la surdité. Et pour chacun d'eux, je vais faire le parallèle entre ces deux niveaux : d'une part, les situations vécues par les enfants victimes de violences sexuelles et par les personnes protectrices, et d'autre part la situation vécue par la CIIVISE et les dégâts collatéraux sur les victimes. J'évoquerai d'autres enjeux de société dans un futur article, car absurdité et surdité sont en réalité légions dans notre société.

Petit rappel du mauvais scénario auquel est confronté la CIIVISE depuis quelques mois

Voici résumé, par le visuel suivant, l'historique des événements marquants à partir de la fin de l'été 2023 :


Un mauvais scénario orchestré par les gouvernements successifs Borne puis Attal qui, par leurs décisions, ont à la fois :

lundi 26 février 2024

A trop tirer le fil ... du "Faire"

 

Je constate autour de moi depuis plusieurs années un phénomène qui habite beaucoup de personnes dans toutes leurs sphères de vie et quasiment tous les collectifs de toutes sortes (entreprises capitalistiques, coopératives, administrations, travailleurs indépendants, associations, collectifs de circonstance, communautés, ...) auxquels j'ai pu être confronté : le diktat conjugué du "Faire" et de l'urgence.

Or, à trop tirer le fil du "Faire" ...

  • On privilégie les solutions faciles à mettre en œuvre même si elles ont de gros inconvénients - que l'on va minimiser -, au détriment de solutions moins faciles mais vraiment satisfaisantes,
  • On va dans l'immédiateté sans prendre en compte le long terme, voire le moyen terme non plus.
  • On use les organismes humains, physiquement et psychiquement, et non humains (le vivant et les ressources de la planète),
  • On se dit pragmatique alors qu'on est en réalité dans le cynisme, voire la maltraitance, selon les principes bien connus "la fin justifie les moyens" et "on ne fait pas une omelette sans casser des œufs"  se donnant ainsi l'autorisation à commettre des dégâts collatéraux
  • Le collectif oublie de prendre soin de ceux qui font, ceux qui le porte, et ces derniers s'oublient eux-mêmes.
Considérons 3 questions autour du "Faire" :
  • Pourquoi : pourquoi je fais les choses ?
  • Quoi : qu'est-ce que je vais faire ?
  • Comment : comment je vais le faire ?

jeudi 8 février 2024

57 jours et quelques de trop, vus à travers la loupe de la bienveillance

Mardi 6 février 2024, Sébastien Boueilh, le Président de la dite "CIIVISE 2", était interviewé sur le plateau de l'émission de télé Quotidien. C'était le lendemain de son intronisation par la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités Catherine Vautrin. La CIIVISE, c'est la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants. Elle a réalisé un travail extraordinaire qui a abouti à 82 préconisations qui pourraient mettre notre société en ordre de marche coordonnée face à l'inceste et aux violences sexuelles, à contribuer à faire société bienveillante. 

Il a évoqué dans cette émission 57 jours difficiles pour lui : "Ces 57 secondes de silence ont représenté les 57 jours où du moment qu’on a été nommé, on a fait l’objet de critiques, d’insultes, de tout ce qu’on peut imaginer, justement grâce à ces réseaux sociaux. C’est affligeant.

Alors, moi qui me suis investi dans la modélisation d'une Société et de Territoires de la Bienveillance, et qui depuis mi-décembre 2023 ai décidé de m'engager derrière la CIIVISE historique en tant que citoyen et humain doté d'un cœur, d'une raison et d'une conscience, je vous propose une lecture à la fois distanciée et personnelle de ces 57 jours à travers deux éléments de modélisation que j'ai conçus : une échelle de la bienveillance en 3 segments : malveillance, absence de bienveillance et bienveillance, et 3 enjeux centraux de bienveillance : faire du bien, ne pas faire de mal et dénoncer, affronter, signaler le mal.

J'ai déjà consacré 4 articles autour des travaux et de l'historique de la CIIVISE :

57 jours de trop pour qui ?

Le 10 décembre 2023, le gouvernement à travers sa Secrétaire d'Etat à l'Enfance Charlotte Caubel a annoncé le renouvellement de la CIIVISE MAIS - et c'est là que ça coince très sérieusement - en changeant les co-présidents (le terme "éviction" a été consacré par les observateurs et les victimes de cette décision) et en faisant évolué ses missions.

A cette date précise ont démarré les 57 jours difficiles que Sébastien Boueilh a évoqués. 

Avec les deux casquettes que j'ai décidé de porter dans cette article, je comprends que Sébastien Boueilh ait pu ressentir un mauvais accueil par une partie de la population à sa nomination. Oui, si je me mets à sa place et si je lis la plupart des réactions sur les réseaux sociaux, ça me toucherait, ça me ferait mal de me voir attaquer alors que je défends une bonne cause. Par leur quantité de réactions négatives, par la violence de certaines, et aussi parce que Sébastien Boueilh a été aussi une victime de violences sexuelles.
Sauf  ... que je ne suis pas à sa place, et que si j'avais été à sa place, je n'aurais pas accepté de prendre la suite du juge Edouard Durand et que j'aurais démissionné comme les autres membres qui l'ont fait par ailleurs. J'aurais côtoyé et appris à connaître un serviteur de l'Etat et de la cause des enfants absolument hors norme et j'aurais été fier d'avoir pu contribuer à changer la donne sur le sujet de l'inceste et des violences sexuelles, étant déjà investi moi Sébastien Boueilh en tant que fondateur et président de mon association Le colosse aux pieds d'argile.
Donc oui, je comprends que Sébastien Boueilh ait pu souffrir 57 jours et que cela puisse continuer. Et si j'étais à sa place, je retournerai à bien faire mon travail dans mon association, là où je suis reconnu par toutes les parties prenantes que je côtoie. Vous connaissez la tirade dans Les fourberies de Scapin de Molière : "Que diable allait-il faire dans cette galère ?". Voilà le fond de ma pensée.

ET je comprends encore mieux que d'autres aient pu souffrir, aient vu leurs souffrances s'amplifier. Il s'agit en premier lieu des enfants victimes de violences sexuelles devenus adultes, et encore plus particulièrement celles et ceux qui sont venus témoigner auprès de la CIIVISE. 30 000 personnes qui ont vu leur souffrance repartir en flèche après avoir eu l'espoir d'une CIIVISE qui les a écoutés, crus, qui les a reconnus
Il est sûr que chaque souffrance est particulière, mais voilà, il y a d'un côté la souffrance d'un président et de sa vice-présidente, et de l'autre la souffrance presque certaine d'au moins 30 000 personnes parce qu'il y a aussi toutes celles qui n'ont pas témoigné. Je rappelle le chiffre effroyable : 5,5 millions de personnes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance.

vendredi 19 janvier 2024

3 enjeux de bienveillance face à l'inceste



En novembre 2023, j'ai consacré un article à trois enjeux indissociables de bienveillance. Article que j'ai transformé en page à l'occasion de la rédaction du présent article dans la mesure où il m'est paru important que ces 3 enjeux constituent un élément de ma modélisation en tant que tel. Cette page s'intitule 3 enjeux de bienveillance : faire du bien, ne pas faire de mal, et signaler/dénoncer le mal.

Ce présent article est né de mon engagement en tant que citoyen depuis quelques semaines sur le sujet sociétal et crucial de l'inceste, de mes interactions sur le sujet, notamment avec le collectif Soutien Ciivise (sur Facebook, sur Instagram), et presque à chaud hier jeudi 18 janvier 2024 et ce vendredi 19 janvier 2024 aux deux événements dans le cadre de la caravane Mouv'Enfants organisée par Arnaud Gallais en partenariat avec C3S (Corse Stratégie Santé Sexuelle) et notamment la radio associative Frequenza Nostra en 4 étapes en Corse. Le premier événement à Ajaccio se passant hier au tribunal d'Ajaccio.

Je commence par faire un parallèle. Dans la page de référence évoquée en introduction, j'ai imaginé la situation où un homme agresse sexuellement une femme dans la rue. Tout passant a obligation par la loi d'intervenir, soit directement, soit en faisant appel aux forces de l'ordre, sous peine d'être poursuivi pénalement pour non-assistance à personne en danger. Jusque-là, je pense être à peu près entendable.

mercredi 10 janvier 2024

Il faut sauver la CIIVISE et le juge Edouard Durand


J'ai eu l'occasion à deux reprises récemment d'évoquer la CIIVISE et le juge Edouard Durand : Rapport de la CIIVISE sur les violences sexuelles faites aux enfants et Le juge Durand : rétablir la bienveillance et l'idée de bienveillance. Pourquoi ? Parce que j'ai vu dans les travaux de la CIIVISE et la façon de faire, un exemple de ce que l'on peut faire en matière de bienveillance, une illustration de ce que pourrait être une Société et des Territoires de la Bienveillance

C'est aujourd'hui l'homme et le citoyen qui s'exprime, avec toujours en filigrane le sujet de la bienveillance. Je propose mon résumé des événements qui se sont produits depuis le 11 décembre 2023.

Ce jour là, le gouvernement a mis fin au suspense concernant l'avenir de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) : il maintient cette commission au-delà du 31/12/2023, mais il change les orientations et écarte les deux-coprésidents Edouard Durand et Nathalie Mathieu, malgré la demande forte des associations de victimes et la lettre ouverte du 13 novembre 2023 de la Délégation aux droits des femmes du Sénat.

A la suite de cette annonce et des propos tenus par Charlotte Caubel la Secrétaire d'Etat à l'Enfance, 11 membres - plus de la moitié -  annoncent le 14/12/2023 leur démission (article dans Libération). Le 4/1/2024, ils expriment à nouveau leur inquiétude et leur colère (article dans Libération). Le même jour, plusieurs associations joignent leur voix dans une tribune (Blog de Médiapart).

Le 7/1/2024, nouvelle tribune portée par des activistes et le compte instagram @soutien CIIVISE (Blog de Médiapart), présent également sur Facebook.

Par ailleurs, une mobilisation a lieu sur les réseaux sociaux autour des hashtags #Ciivise, #SoutienCiivise, #MeTooInceste.

Le 8/1/2024, je lance une pétition avec une approche singulière : me mettre dans la peau de la CIIVISE : « Moi, Ineste CIIVISE, je vous demande de me sauver ! »

Alors qu'un remaniement est en cours, il est probablement temps que l'ensemble des parties prenantes joignent leurs voix pour peser le soutien de la société tout entière à l'équipe formidable qui a largement fait bouger les lignes et facilité la libération de la parole de 30 000 enfants victimes d'inceste devenus adultes. Une équipe qui est donc inquiète de l'avenir qui sera réservé aux 82 préconisations qu'elle a faites, à la préservation de la doctrine et à la nécessaire et juste prise en charge que la société doit faire pour la réparation du traumatisme des adultes touchés. 

Il s'agit aussi que les 30 000 personnes (imaginez ce chiffre !) qui ont témoigné (un "mouvement social" comme le nomme le juge Edouard Durand) puissent trouver enfin des dispositifs à la hauteur de leur traumatisme. Des dispositifs qui leur soient accessibles sur leur territoire et pris en charge par la société.

En résumé : rejoignons la Délégation aux droits des femmes du Sénat, les associations de victimes, les victimes, les professionnels qui soutiennent la CIIVISE mais qui ne se sont pas exprimés, les entourages des victimes, ... pour inverser la décision du 11 décembre 2023 et assurer la continuité des actions avec un extraordinaire porte-flambeau et cheville ouvrière : le juge Edouard Durand.

Je vous invite à faire entendre votre voix comme vous l'entendez compte tenu des différents canaux possibles. Et je vous invite notamment à signer la pétition née de la société civile (moi, citoyen lambda , engageant son cœur, sa raison, sa conscience et sa responsabilité) que j'ai lancée.

Cliquer ICI pour accéder à la pétition.

Et surtout ... propagez l'information tout autour de vous, et largement mieux que moi qui ne suis franchement pas un as en la matière.




Article épinglé

Problème DE bienveillance et AVEC la bienveillance

  Voici un bref constat en deux points sur ce qui ne va pas selon moi avec la bienveillance actuellement dans notre société. Avant d'en ...

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