Le concept de "Gagnant-Gagnant" ("Win-Win" en anglais) est souvent mal interprété. Dans le cadre de mon travail de modélisation de la bienveillance présenté sur autourdelabienveillance.fr, il n'est pas synonyme d'une maximisation égoïste des bénéfices, mais au contraire, le pilier d'une Bienveillance Globale fidèle à :
- Les 3 enjeux de la bienveillance : Faire du bien, ne pas faire de mal, et signaler, dénoncer et faire face au mal.
- L'échelle de la Bienveillance à 3 segments : bienveillance, absence de bienveillance et malveillance.
- Les 4 dimensions indissociables et réplicables.
0. Un exemple emblématique et concret pour servir de fil rouge : l'association BUURZTORG
1. Le Gagnant-Gagnant au-delà de la maximisation : rationalité et éthique
La réussite d'une coopération durable exige de renoncer à l'optimisation maximale de son propre gain immédiat. Ce renoncement n'est pas un sacrifice, mais un investissement rationnel dans la pérennité de la relation.
A. La rationalité systémique
Chercher à maximiser les bénéfices de chaque "sous-système" (chaque individu ou chaque collectif/communauté) mène à un résultat sous-optimal et souvent dysfonctionnel pour l'ensemble du système (la relation ou le projet).
La coopération Gagnant-Gagnant reconnaît que l'optimum global est atteint lorsque chaque partie accepte un niveau de satisfaction suffisant et juste, même si elle n'est pas maximalement satisfaite individuellement :
- par la coopération
- ou par ce qu'elle aurait pu obtenir en prenant une voie plus individualiste, compétitive, et éventuellement plus déloyale.
B. La tempérance contre la maximisation
La quête de la perfection ou du "mieux" (un gain toujours plus grand) est l'ennemie du "bien" (une solution juste et viable).
"Le mieux est l'ennemi du bien" Montesquieu, puis Voltaire
En s'alignant sur la dimension de l'intention, la coopération Gagnant-Gagnant privilégie la solution qui est équitable et qui se donne le temps d'être construite dans l'esprit "Aussi peu que possible et autant que nécessaire" en s'efforçant d'éviter d'épuiser les ressources humaines et les ressources de la planète.
C. Accepter de ne pas être Gagnant à court terme
Une bienveillance orientée vers le long terme et la création de valeur partagée intègre la réalité des cycles et se donne du temps.
Des situations exigent que, ponctuellement, une partie se montre plus "donneuse" ou accepte un désavantage momentané (en temps, en énergie, ou même en résultat immédiat) afin de consolider la confiance, d'investir dans l'avenir, ou de soutenir une partie en difficulté. Si les résultats visés sont Gagnant-Gagnant sur le moyen ou long terme, il est tout à fait sain d'accepter de ne pas être gagnant immédiatement pour préserver la relation et le but commun.
En permettant aux infirmiers de se donner le temps nécessaire (Attention + Intention) pour connaître le patient dans son contexte et avec les personnes qui l'entourent, Buurtzorg a sacrifié volontairement la maximisation de l'efficience à l'acte pour maximiser l'efficacité globale (guérison rapide)
2. L'Attention Réciproque : le temps donné à la coopération
Atteindre cet équilibre subtil de renoncement à la maximisation immédiate nécessite une compréhension profonde de l'autre, ce qui exige du temps et de l'engagement cognitif.
Une coopération véritablement Gagnant-Gagnant nécessite de se donner mutuellement du temps pour comprendre la situation, la perception et les besoins des autres parties. C'est ici que l'Attention Réciproque (AR) prend tout son sens.
L'Attention Réciproque est l'effort conscient et mutuel d'accorder du temps pour :
- Percevoir et comprendre ce que l'autre perçoit et comprend de la situation.
- Reconnaître les besoins (exprimés ou latents) de l'autre.
- Intégrer ces données dans sa propre perspective d'action.
Ce temps d'écoute active et de validation réciproque est l'ingrédient essentiel qui garantit que l'Action (3ème dimension) mise en œuvre est juste et que l'Intention (2ème dimension) est bien perçue comme sincère et non manipulatrice.
Chez Buurtzorg, l’Attention Réciproque se traduit par le temps donné aux patients et à leurs proches. Les équipes autogérées prennent le temps de comprendre le contexte de vie, ce qui permet une action plus juste et une intention perçue comme sincère.
L'application de l'Attention Réciproque par les équipes de Buurtzorg se joue de deux manières :
- En allant au-delà du geste technique pour mieux comprendre les besoins réels du patient et de l'entourage aidant (attention au bénéficiaire et aux aidants). En notant, que je n'ai pas d'information sur l'invitation qui est faite aux bénéficiaires et aidant de jouer une attention réciproque (qui évidemment ne sera pas sur le même registre).
- En étant vigilant sur l'état de ses collègues pour prévenir l'épuisement et maintenir les marges de sécurité (attention entre pairs).
3. Le Gagnant-Gagnant au cœur d'une Stratégie Coopérenne en cercle vertueux
Cette approche de la bienveillance – qui privilégie la valeur partagée, le long terme et l'Attention Réciproque – est l'essence même de la Stratégie Coopérenne.
La Stratégie Coopérenne (Coopération + Pérenne) est la feuille de route pour construire des relations et des projets coopératifs qui sont durables, éthiques et humainement enrichissants. Elle s'oppose aux modèles basés sur l'épuisement, la domination ou la simple transaction opportuniste.
Le Lien est Direct :
- Bienveillance G-G = Choisir un bénéfice commun supérieur à la somme des bénéfices individuels maximaux.
- Coopérenne = La méthode pour ancrer ce choix dans la durée, en utilisant les 4 dimensions indissociables, les 3 enjeux et l'échelle de la bienveillance en 3 segments comme guides.
En se basant sur ces guides, on fait vivre la dynamique suivante en 4 phases au sein d'un cercle vertueux :
- Attention : Chaque partie investit individuellement et collectivement le temps nécessaire à l'Attention Réciproque.
- Intention : L'intention est pure, orientée vers le bien-être mutuel, même si cela implique un sacrifice immédiat.
- Action : La coopération se concrétise sur le "quoi" ET sur le "comment" par de la bienveillance et autant que possible un bénéfice Gagnant-Gagnant.
- Régulation : Un suivi et le respect des limites sont assurés pour que le bénéfice commun perdure et ne se transforme pas en "Gagnant-Perdant" par épuisement de l'une des parties.
- Le gain du patient (guérison plus rapide, dignité) devient la fierté et le sens de l'infirmier.
- Le gain de l'infirmier (moins de stress, plus d'autonomie) devient une plus grande disponibilité et une fidélité à l'organisation (faible turnover), ce qui est une ressource clé pour l'organisation Buurtzorg.
- Le gain de l'organisation (faible coût, image positive) devient la pérennité du modèle, ce qui sécurise l'emploi et le mode de vie des infirmiers.
4. La Robustesse : les marges de sécurité données par la coopération Gagnant-Gagnant
L'argument le plus stratégique pour la coopération Gagnant-Gagnant est la robustesse qu'elle confère à la relation et aux projets coopératifs.
En effet, si l'optimisation maximale élimine toutes les marges de sécurité, rendant le système fragile, en revanche, la coopération Gagnant-Gagnant permet de créer des réserves et des marges de manœuvre qui participent grandement à la robustesse.
En renonçant à la maximisation, on crée volontairement des marges de sécurité (en temps, en énergie, en gain). Ces réserves permettent d'absorber les chocs, les aléas et les imprévus sans que le système coopératif ne s'effondre ou, plus insidieux, ne s'émiette dans la durée.
La Régulation (4ème phase évoquée dans la section précédente) garantit le maintien de ces marges. Elle veille à ce que personne ne tire trop sur la corde (ne dépasse ses limites) et à ce que les réserves (ou les efforts) soient équitablement distribuées, assurant ainsi la pérennité de la coopération. Une régulation qui s'appuie elle-aussi sur l'Attention Réciproque.
Buurtzorg illustre cette robustesse : en sacrifiant volontairement la maximisation de l’acte technique, l’organisation a gagné en efficacité globale (40% de temps en moins par patient, réduction des hospitalisations, économies estimées à 2 milliards d’euros).
5. Coopération Gagnant-Gagnant AVEC Vs CONTRE
6. Coopération Gagnant-Gagnant AVEC ceux qui font autrement
- AVEC : Les acteurs qui sont dans ou avec le modèle dominant et essayent de le faire évoluer.
- CONTRE : Les acteurs qui combattent le modèle dominant.
- A COTE : Les acteurs qui développent des alternatives plus vertueuses.
7. Où il est question de Pourquoi, Comment et Quoi
- Pourquoi ? Pourquoi voulons-nous lancer le projet ou le collectif, pour répondre à quoi, ... ?
- Comment ? Comment voulons-nous travailler ensemble, avec les parties prenantes extérieures et avec les écosystèmes d'appartenance ou de proximité ?
- Quoi ? Et seulement en dernier, quels sont les objectifs, les plans d'actions, ... ?
8. Conclusion
La coopération Gagnant-Gagnant est donc la méthode qui permet de concrétiser la Stratégie Coopérenne, transformant la bienveillance en un levier d'efficacité et de résilience durable, basé sur l'investissement dans la confiance et la relation durable plutôt que sur l'exploitation du gain immédiat.
Le Gagnant-Gagnant, c'est la preuve que la bienveillance n'est pas une faiblesse, mais une stratégie d'intelligence relationnelle supérieure, capable de créer de la valeur pérenne pour tous les acteurs.



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