La bienveillance par la coopération Gagnant-Gagnant


Le concept de "Gagnant-Gagnant" ("Win-Win" en anglais) est souvent mal interprété. Dans le cadre de mon travail de modélisation de la bienveillance présenté sur autourdelabienveillance.fr, il n'est pas synonyme d'une maximisation égoïste des bénéfices, mais au contraire, le pilier d'une Bienveillance Globale fidèle à :

C'est le choix d'une coopération éclairée visant la richesse relationnelle et la pérennité.

0. Un exemple emblématique et concret pour servir de fil rouge : l'association BUURZTORG


Un exemple emblématique et sacrément singulier de coopération Gagnant-Gagnant bienveillante est l'association néerlandaise BUURTZOG que j'ai présentée en 2016 dans l'article sur laqvt.fr Organisations opales par l’exemple : l’association néerlandaise Buurtzorg. Il illustre, de manière quasi parfaite, l'articulation entre le Gagnant-Gagnant, le choix de ne pas maximiser le bénéfice immédiat et la robustesse d'une stratégie Coopérenne.



Buurtzorg est une organisation néerlandaise de soins à domicile célèbre pour son modèle d'autogestion radical, où des équipes d'infirmiers (maximum 12 personnes par équipe), sans hiérarchie intermédiaire, gèrent elles-mêmes l'intégralité de leurs activités et des soins. 

Axé sur une approche holistique du patient et de ses besoins, ce modèle disruptif est l'incarnation d'une stratégie Gagnant-Gagnant qui a prouvé son efficacité en améliorant significativement la qualité des soins et la satisfaction des soignants, tout en réduisant les coûts pour le système de santé. 

Buurtzorg est souvent cité comme un exemple d'organisation libérée et de coopération pérenne réussie. Elle a été mentionnée par Frédéric Laloux dans son livre sur les organisations opales Reinventing organizations.

Par rapport aux chiffres que j'ai donnés en 2016, le nombre d'équipe serait passé de 850 à 1 000, le nombre d'infirmières et d'infirmiers de 10 000 à 15 000, pour un effectif du siège social relativement stable (47 --> 50). 

1. Le Gagnant-Gagnant au-delà de la maximisation : rationalité et éthique

La réussite d'une coopération durable exige de renoncer à l'optimisation maximale de son propre gain immédiat. Ce renoncement n'est pas un sacrifice, mais un investissement rationnel dans la pérennité de la relation.

A. La rationalité systémique

Chercher à maximiser les bénéfices de chaque "sous-système" (chaque individu ou chaque collectif/communauté) mène à un résultat sous-optimal et souvent dysfonctionnel pour l'ensemble du système (la relation ou le projet).

La coopération Gagnant-Gagnant reconnaît que l'optimum global est atteint lorsque chaque partie accepte un niveau de satisfaction suffisant et juste, même si elle n'est pas maximalement satisfaite individuellement :

  • par la coopération
  • ou par ce qu'elle aurait pu obtenir en prenant une voie plus individualiste, compétitive, et éventuellement plus déloyale. 
Céder une partie de son gain potentiel est le prix de cette coopération durable.

Il me semble important de mettre en évidence que ce que le modèle classique et productiviste considère comme une perte (du temps relationnel, du temps de construction de projets partagés) est en réalité un investissement essentiel qui réduit le risque systémique (l'épuisement, le turnover). Le Gagnant-Gagnant est un arbitrage qui privilégie l'investissement dans le capital humain sur l'optimisation immédiate du capital technique.

B. La tempérance contre la maximisation

La quête de la perfection ou du "mieux" (un gain toujours plus grand) est l'ennemie du "bien" (une solution juste et viable).

"Le mieux est l'ennemi du bien" Montesquieu, puis Voltaire

En s'alignant sur la dimension de l'intention, la coopération Gagnant-Gagnant privilégie la solution qui est équitable et qui se donne le temps d'être construite dans l'esprit "Aussi peu que possible et autant que nécessaire" en s'efforçant d'éviter d'épuiser les ressources humaines et les ressources de la planète.

C. Accepter de ne pas être Gagnant à court terme

Une bienveillance orientée vers le long terme et la création de valeur partagée intègre la réalité des cycles et se donne du temps.

Des situations exigent que, ponctuellement, une partie se montre plus "donneuse" ou accepte un désavantage momentané (en temps, en énergie, ou même en résultat immédiat) afin de consolider la confiance, d'investir dans l'avenir, ou de soutenir une partie en difficulté. Si les résultats visés sont Gagnant-Gagnant sur le moyen ou long terme, il est tout à fait sain d'accepter de ne pas être gagnant immédiatement pour préserver la relation et le but commun.

En permettant aux infirmiers de se donner le temps nécessaire (Attention + Intention) pour connaître le patient dans son contexte et avec les personnes qui l'entourent, Buurtzorg a sacrifié volontairement la maximisation de l'efficience à l'acte pour maximiser l'efficacité globale (guérison rapide)

2. L'Attention Réciproque : le temps donné à la coopération

Atteindre cet équilibre subtil de renoncement à la maximisation immédiate nécessite une compréhension profonde de l'autre, ce qui exige du temps et de l'engagement cognitif.

Une coopération véritablement Gagnant-Gagnant nécessite de se donner mutuellement du temps pour comprendre la situation, la perception et les besoins des autres parties. C'est ici que l'Attention Réciproque (AR) prend tout son sens.

L'Attention Réciproque est l'effort conscient et mutuel d'accorder du temps pour :

  1. Percevoir et comprendre ce que l'autre perçoit et comprend de la situation.
  2. Reconnaître les besoins (exprimés ou latents) de l'autre.
  3. Intégrer ces données dans sa propre perspective d'action.

Ce temps d'écoute active et de validation réciproque est l'ingrédient essentiel qui garantit que l'Action (3ème dimension) mise en œuvre est juste et que l'Intention (2ème dimension) est bien perçue comme sincère et non manipulatrice.

Chez Buurtzorg, l’Attention Réciproque se traduit par le temps donné aux patients et à leurs proches. Les équipes autogérées prennent le temps de comprendre le contexte de vie, ce qui permet une action plus juste et une intention perçue comme sincère.

L'application de l'Attention Réciproque par les équipes de Buurtzorg se joue de deux manières : 

  1. En allant au-delà du geste technique pour mieux comprendre les besoins réels du patient et de l'entourage aidant (attention au bénéficiaire et aux aidants). En notant, que je n'ai pas d'information sur l'invitation qui est faite aux bénéficiaires et aidant de jouer une attention réciproque (qui évidemment ne sera pas sur le même registre). 
  2. En étant vigilant sur l'état de ses collègues pour prévenir l'épuisement et maintenir les marges de sécurité (attention entre pairs).

3. Le Gagnant-Gagnant au cœur d'une Stratégie Coopérenne en cercle vertueux

Cette approche de la bienveillance – qui privilégie la valeur partagée, le long terme et l'Attention Réciproque – est l'essence même de la Stratégie Coopérenne.

La Stratégie Coopérenne (Coopération + Pérenne) est la feuille de route pour construire des relations et des projets coopératifs qui sont durables, éthiques et humainement enrichissants. Elle s'oppose aux modèles basés sur l'épuisement, la domination ou la simple transaction opportuniste.

Le Lien est Direct :

  • Bienveillance G-G = Choisir un bénéfice commun supérieur à la somme des bénéfices individuels maximaux.
  • Coopérenne = La méthode pour ancrer ce choix dans la durée, en utilisant les 4 dimensions indissociables, les 3 enjeux et l'échelle de la bienveillance en 3 segments comme guides.

En se basant sur ces guides, on fait vivre la dynamique suivante en 4 phases au sein d'un cercle vertueux :

  1. Attention : Chaque partie investit individuellement et collectivement le temps nécessaire à l'Attention Réciproque.
  2. Intention : L'intention est pure, orientée vers le bien-être mutuel, même si cela implique un sacrifice immédiat.
  3. Action : La coopération se concrétise sur le "quoi" ET sur le "comment" par de la bienveillance et autant que possible un bénéfice Gagnant-Gagnant.
  4. Régulation : Un suivi et le respect des limites sont assurés pour que le bénéfice commun perdure et ne se transforme pas en "Gagnant-Perdant" par épuisement de l'une des parties.
La coopération Gagnant-Gagnant est donc une spirale positive et non un état statique.

Buurtzorg fait vivre une boucle de rétroaction positive générée par le Gagnant-Gagnant, s'appuyant sur le fait que le gain d'une partie devient la ressource de l'autre :
  • Le gain du patient (guérison plus rapide, dignité) devient la fierté et le sens de l'infirmier.
  • Le gain de l'infirmier (moins de stress, plus d'autonomie) devient une plus grande disponibilité et une fidélité à l'organisation (faible turnover), ce qui est une ressource clé pour l'organisation Buurtzorg.
  • Le gain de l'organisation (faible coût, image positive) devient la pérennité du modèle, ce qui sécurise l'emploi et le mode de vie des infirmiers.

4. La Robustesse : les marges de sécurité données par la coopération Gagnant-Gagnant

L'argument le plus stratégique pour la coopération Gagnant-Gagnant est la robustesse qu'elle confère à la relation et aux projets coopératifs

En effet, si l'optimisation maximale élimine toutes les marges de sécurité, rendant le système fragile, en revanche, la coopération Gagnant-Gagnant permet de créer des réserves et des marges de manœuvre qui participent grandement à la robustesse.

En renonçant à la maximisation, on crée volontairement des marges de sécurité (en temps, en énergie, en gain). Ces réserves permettent d'absorber les chocs, les aléas et les imprévus sans que le système coopératif ne s'effondre ou, plus insidieux, ne s'émiette dans la durée.

La Régulation (4ème phase évoquée dans la section précédente) garantit le maintien de ces marges. Elle veille à ce que personne ne tire trop sur la corde (ne dépasse ses limites) et à ce que les réserves (ou les efforts) soient équitablement distribuées, assurant ainsi la pérennité de la coopération. Une régulation qui s'appuie elle-aussi sur l'Attention Réciproque.

Buurtzorg illustre cette robustesse : en sacrifiant volontairement la maximisation de l’acte technique, l’organisation a gagné en efficacité globale (40% de temps en moins par patient, réduction des hospitalisations, économies estimées à 2 milliards d’euros).

5. Coopération Gagnant-Gagnant AVEC Vs CONTRE 

Une coopération Gagnant-Gagnant ne peut se contenter d'être bienveillante pour les parties prenantes engagées dans la coopération.

A l'instar de l'empathie, la bienveillance exclusive et sélective présente le risque de s'autoriser à de l'absence de bienveillance, voire à de la malveillance envers des parties externes, qui seraient alors non considérées voire déconsidérées. D'autant plus si la coopération se construit contre des individus, collectifs ou communautés "adverses".

La motivation d'une coopération Gagnant-Gagnant bienveillante est de poursuivre un projet qui respecte et considères les parties externes au projet. Les 3 enjeux de la Bienveillance, l'échelle de la bienveillance et les 4 dimensions de la bienveillance sont autant de guide pour ne pas refermer la coopération sur elle-même et réduire le risque de porter atteinte à l'extérieur de son périmètre.

Buurtzorg montre qu’une coopération Gagnant-Gagnant peut être inclusive, respectueuse des parties externes, et inspirer des évolutions dans le système dominant, plutôt que de se construire contre lui.

6. Coopération Gagnant-Gagnant AVEC ceux qui font autrement

Dans un MOOC sur la démocratie il y a quelques années, le mouvement Colibris mettait l'accent sur un phénomène tantôt stérile, tantôt carrément contre-productif : les acteurs œuvrant de manières différentes face à un modèle dominant délétère ont une fâcheuse tendance tout en autoproclamant que leur posture et approche sont les seules légitimes et efficaces, font aussi des autres acteurs des concurrents, voire adversaires à combattre au même titres que ceux défendant le modèle dominant.

Dans le MOOC était mis en exergue 3 types de positionnements :
  • AVEC : Les acteurs qui sont dans ou avec le modèle dominant et essayent de le faire évoluer.
  • CONTRE : Les acteurs qui combattent le modèle dominant.
  • A COTE : Les acteurs qui développent des alternatives plus vertueuses.
Un des enseignements du MOOC en la matière étant que les catégories d'acteur en réalité s'impactent mutuellement positivement par leurs actions, et que ces impacts seraient d'autant plus positifs si ces acteurs se considéraient, se valorisaient et coopéraient de diverses manières.

Il m'a semblé pertinent d'aller plus loin dans cette décomposition des positionnements, en lien avec les enjeux de bienveillance. Cela donne le schéma suivant :


Selon moi, la coopération Gagnant-Gagnant et bienveillante dans ce type de contexte doit s'appuyer sur les 3 enjeux de bienveillance : faire du bien, ne pas faire de mal et dénoncer et faire face au mal. En cela, la coopération mérite d'être pensée et pratiquée avec discernement et vigilance pour assurer qu'elle ne franchisse pas la frontière de la violence.

7. Où il est question de Pourquoi, Comment et Quoi

En croisant mes expertises en bienveillance, coopération et Qualité de Vie au Travail (QVT), j'ai l'habitude d'inviter fortement les projets et collectifs qui se constituent à travailler leur raison d'être autour de 3 questions à explorer dans un ordre bien précis :
  1. Pourquoi ? Pourquoi voulons-nous lancer le projet ou le collectif, pour répondre à quoi, ... ?
  2. Comment ? Comment voulons-nous travailler ensemble, avec les parties prenantes extérieures et avec les écosystèmes d'appartenance ou de proximité ?
  3. Quoi ? Et seulement en dernier, quels sont les objectifs, les plans d'actions, ... ?
Mon expérience et mon travail de modélisation sur la bienveillance me font dire que le "COMMENT" est essentiel pour une pratique réelle de la bienveillance. Bien souvent, le "Quoi" emporte tout sur son passage et on arrive très rapidement à des tensions, des conflits, des dissonances parce que le Pourquoi, le Comment et le Quoi ne sont pas alignés, et notamment parce que le Comment diverge avec le Pourquoi avec des pratiques qui allient urgence, défiance, déloyauté, égoïsme, ...

L'intention de Buurtzorg n'était pas de devenir l'acteur le plus riche ou le plus grand, ni même de faire fondre le pot de fer (ce qui serait une maximisation individuelle), mais de "libérer le secteur" et de redonner sa dignité au métier et aux patients. C'est cette pureté d'intention, cette non-maximisation de l'ambition égoïste, qui a permis au modèle de devenir Coopérenne (en partageant la connaissance), grâce à un COMMENT particulièrement réfléchi et en ligne avec le POURQUOI et le QUOI.

8. Conclusion

La coopération Gagnant-Gagnant est donc la méthode qui permet de concrétiser la Stratégie Coopérenne, transformant la bienveillance en un levier d'efficacité et de résilience durable, basé sur l'investissement dans la confiance et la relation durable plutôt que sur l'exploitation du gain immédiat.

Le Gagnant-Gagnant, c'est la preuve que la bienveillance n'est pas une faiblesse, mais une stratégie d'intelligence relationnelle supérieure, capable de créer de la valeur pérenne pour tous les acteurs.

Buurtzorg est bien un modèle emblématique robuste et durable qui, même s'il n'est pas réplicable tel quel dans tous les pays dans le domaine du soin à domicile, et encore moins dans tous les secteurs d'activité, pourrait être grandement inspirant à bien des égards en terme de bienveillance, de gouvernance, de considération des parties prenantes, de décentralisation, de prise en compte de la santé physique, psychique et sociale de chaque individu ET de coopération altruiste avec l'ex modèle dominant pour le tirer vers des pratiques plus vertueuses.

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