La Bienveillance : un voyage polyvagal en 3 étapes d'un cercle vertueux


La bienveillance n'est pas une idée abstraite, mais une compétence concrète que nous pouvons tous cultiver. Basée sur les principes de la psychologie et des neurosciences, cette approche en trois étapes transforme la bienveillance en un véritable mode de vie et une stratégie physiologique. C'est un voyage qui, une fois commencé, se nourrit de lui-même pour devenir un cercle vertueux, très loin de la vision d'une bienveillance qui serait moralisatrice ou réduite à une dimension éthique.

Pour réussir ce voyage, il est utile, voire nécessaire de mobiliser des alliés précieux, des forces intérieures qui facilitent notre progression.

Je vous présente dans cette page, un voyage polyvagal, en 3 étapes, d'un cercle vertueux, mobilisant des alliés sécurisants et efficaces sans lesquels il serait bien compromis.

Étape 1 : Comprendre

Tout commence par la compréhension. C'est le fondement de notre voyage. Avant de pouvoir prendre soin de nous ou des autres, et par extension de nos écosystèmes d'appartenance, nous devons comprendre les mécanismes qui nous animent individuellement. Pour cela, la théorie polyvagale du Dr Stephen Porges nous offre un guide précieux pour comprendre le fonctionnement du Système Nerveux Autonome (SNA).

Imaginez que notre corps est une voiture avec trois modes de conduite :

  • Le mode "Sécurité" (nerf vague ventral): C'est le mode par défaut de la bienveillance se manifestant par du calme, de la connexion et de la digestion. C'est notre état optimal.
  • Le mode "Mobilisation" (système sympathique) : C'est le mode qui s'active en cas de stress. C'est l'accélérateur à fond.
  • Le mode "Immobilisation" (nerf vague dorsal) : celui qui nous déconnecte en cas de danger extrême. C'est le frein d'urgence.

Comprendre ces modes nous permet de donner un sens à nos réactions. Par exemple, la prochaine fois que vous sentez votre cœur s'emballer avant une présentation en public, vous saurez que c'est une réaction normale de mobilisation (lutte ou de fuite), et non une faiblesse.

Les états de survie : Un coût physique et mental élevé

Lorsque le SNA est en état sympathique ou vagal dorsal, l'activité du nerf vague ventral est réduite. Le cerveau délaisse les informations sur l'état interne du corps (signaux d'inflammation, de digestion, etc.).

Dans ces états, le corps sacrifie les fonctions de réparation pour se concentrer sur la survie immédiate.

Rester chroniquement dans un de ces modes est un problème de santé majeur : le stress chronique peut entraîner de l'inflammation, des troubles digestifs et des problèmes cardiovasculaires, tandis que le "figement" peut mener à l'épuisement et à des problèmes métaboliques.

Par ailleurs, du fait de la sous prise en considération de l'état interne du corps, l'activité réparatrice orchestrée par le nerf vague est sérieusement inhibée.

Les mécanismes sous-jacents sont détaillés dans mon article Les états chroniques de survie : Un coût physique et mental très élevé.

Nos alliés pour la compréhension : l'humilité et la curiosité

  • L'humilité nous permet d'accepter que nous ne savons pas tout sur notre propre fonctionnement. Elle nous ouvre à la possibilité d'apprendre. Au lieu de se dire "je devrais savoir comment réagir", on se dit "je vais explorer pour comprendre ce qui se passe en moi". C'est un allié qui remplace le jugement par l'ouverture.
  • La curiosité nous pousse à aller au-delà de la surface. Elle nous motive à poser des questions et à chercher des réponses sur notre corps et notre esprit. C'est un moteur pour la découverte de soi, qui transforme la peur de l'inconnu en une soif de connaissance. Elle nous pousse à nous intéresser aux neurosciences, et ici particulièrement à la théorie polyvagale et au nerf vague.

Étape 2 : Être conscient

De la compréhension naît la possibilité de la conscience de ce qui nous arrive et arrive à autrui. C'est le moment où nous devenons le passager attentif de notre propre voiture. Nous apprenons à écouter les signaux que notre corps nous envoie.

  • La conscience corporelle : Nous devenons attentifs aux signaux de notre corps. Est-ce que mes mains sont moites ? Ma respiration est-elle courte ? Ai-je une sensation de vide ?
  • La conscience émotionnelle : Nous reconnaissons les émotions associées à ces sensations. L'anxiété pour la lutte, le détachement pour le figement, le calme pour la sécurité.

Cette étape nous sort du jugement. Au lieu de nous dire "Pourquoi je panique ? C'est ridicule, il n'y aucune raison !", on se dit "Mon corps est en train de passer en mode 'lutte', que puis-je faire pour l'aider à revenir en mode de sécurité puisque la situation ne le justifie apparemment pas ?".

Nos alliés pour la conscience : l'appréciation, la gratitude et l'empathie

  • L'appréciation nous aide à reconnaître les efforts de notre corps. Plutôt que de le critiquer pour une réaction de stress, on peut l'apprécier pour sa tentative de nous protéger. Par exemple, on peut dire : "Mon cœur s'accélère pour m'aider à faire face à cette situation. Merci."  Cette appréciation crée un lien de bienveillance avec soi-même.
  • La gratitude nous permet de reconnaître la valeur de nos expériences. Elle nous aide à voir la leçon même dans la détresse. On peut être reconnaissant pour les signaux qui nous avertissent, pour la capacité de notre corps à se réguler, ou pour la présence d'une personne qui elle-même est dans la conscience de notre propre état avant de vouloir nous apporter une aide pertinente. Elle nourrit une perspective positive et reconnaissante, même dans les moments difficiles.
  • L'empathie, c'est ce qui nous permet de prendre conscience de l'état d'autrui, en première intention, avant de vouloir agir, le cas échéant pour l'aider.

Étape 3 : Réguler

La conscience nous mène à la régulation, qui est l'action bienveillante par excellence. C'est prendre le volant et diriger la voiture vers l'état de sécurité lorsque nous nous sentons en détresse et que cela ne se justifie pas ou plus. 

  • Se donner de la bienveillance : En cas de stress, une simple respiration en expirant longuement ou une courte marche peuvent aider. Si l'on se sent déconnecté, on peut s'ancrer en touchant un objet, ou en se concentrant sur ses pieds. Ce sont des actions d'auto-régulation qui nous ramènent au calme.
  • Donner de la bienveillance : Cette régulation se transforme en co-régulation. Par notre propre calme, nous envoyons des signaux de sécurité aux autres. Nous devenons un environnement apaisant pour notre entourage. Nous prenons soin d'autrui pour qu'autrui puisse prendre soin de lui-même. Nous lui présentons une échelle, mais c'est lui qui monte.
  • Recevoir de la bienveillance : Inversement, nous pouvons aller rechercher l'état de sécurité chez une autre personne qui est calme, par le même mécanisme de co-régulation. Autrui prend soin de nous pour que nous puissions prendre soin de nous. Autrui nous présente une échellle, et c'est nous qui la montons.
On voit que dans la bienveillance interpersonnelle évoquée ici dans les deux derniers items, il ne s'agit pas d'un acte altruiste de l'aidant qui décide et qui fait à la place de l'aidé et le laisse passif. 

Il s'agit au contraire d'une "mise en condition" de sécurité de l'aidé pour qu'une fois l'état de sécurité atteint - si c'est possible -, l'aidé puisse retrouver toutes ses ressources relationnelles et rationnelles pour retrouver sa propre capacité de régulation et faire face à sa situation du moment.

Cette conception dépasse donc la simple notion d'aide ou de générosité pour s'inscrire dans une dynamique de co-régulation physiologique plus attentive au potentiel de l'aidé et moins intrusive.

Les alliés de la régulation

  • Le courage est nécessaire pour initier la régulation, car cela signifie souvent faire face à l'inconfort d'un état de détresse pour en sortir. Il faut du courage pour choisir de s'ancrer lorsque l'envie est de fuir, ou pour chercher de l'aide quand on a l'impression d'être seul. Le courage permet de surmonter la peur et l'inertie, agissant comme le catalyseur qui transforme la conscience en action. .
  • La douceur  avec soi-même, c'est reconnaître qu'il est normal de passer par des états de détresse et que le processus de régulation prend du temps. La douceur permet d'éviter l'auto-jugement, qui ne ferait qu'activer davantage le système sympathique. C'est un allié qui nous rappelle de ne pas nous précipiter, mais de laisser le corps se calmer à son propre rythme.
  • La patience est un allié indispensable. Les changements ne sont pas instantanés. La régulation est une pratique, pas une solution miracle. Il faut de la patience pour accepter que des jours seront plus faciles que d'autres et pour continuer à pratiquer même si les résultats ne sont pas immédiats. Ce qui fait appel aussi à l'humilité de ne pas pouvoir tout contrôler et tout de suite. Elle nous aide à persévérer et à voir la régulation comme un engagement à long terme envers notre bien-être.
  • L'appréciation et la gratitude sont aussi des alliés pour cette étape pour valoriser les petits et grands pas, aidés ou non par autrui.

Le cercle vertueux de la bienveillance 


Chacune de 3 ces étapes nourrit la suivante. C'est un cycle sans fin qui renforce notre capacité à être bienveillant. Dans le modèle de la bienveillance (compréhension, conscience, régulation), la compréhension n'est pas seulement le point de départ. Elle est le premier maillon d'une chaîne qui se renforce à chaque cycle.

  1. Notre compréhension théorique initiale (le fondement) nous permet de développer notre conscience de manière plus précise (compréhension => conscience).
  2. Notre conscience (l'expérience), qui enrichit la théorie, nous donne les informations nécessaires pour réguler plus efficacement (conscience => régulation).
  3. La réussite de notre régulation (l'action) nous apporte de nouvelles expériences qui enrichissent notre compréhension initiale, rendant notre conscience encore plus aiguisée pour le prochain cycle (régulation => conscience).
La compréhension n'est donc pas statique. Elle est dynamisée par la conscience et la régulation. Chaque fois que nous régulons avec succès notre système nerveux, notre compréhension de son fonctionnement s'affine. Cela nous permet d'être plus conscient la prochaine fois, et de réguler encore plus efficacement.

En fin de compte, la bienveillance n'est pas une destination, mais un voyage cyclique. C'est un processus dynamique où la connaissance, l'écoute et l'action s'entremêlent pour créer un état de bien-être durable, pour nous et pour les autres.

Quant aux alliés il faut noter qu'ils favorisent l'établissement de l'état de sécurité, et donc les conditions nécessaires pour activer au mieux chacune de ces 3 étapes.

Généralisation de ce cercle vertueux à d'autres enjeux de bienveillance

On peut généraliser ce modèle de compréhension, conscience et régulation à d'autres aspects de la bienveillance, en particulier face à des enjeux comme le réchauffement climatique et notre responsabilité envers les écosystèmes. Ce cadre s'applique au-delà de la psychologie individuelle pour devenir une approche systémique de la bienveillance.

1. Compréhension : le fondement de l'enjeu

Pour être bienveillant face au changement climatique, il faut d'abord le comprendre. Cela va au-delà des émotions. Il s'agit de s'informer sur les mécanismes scientifiques du réchauffement, de connaître les causes, les conséquences et le fonctionnement des écosystèmes.

Exemple : La compréhension des boucles de rétroaction (par exemple, la fonte du permafrost libérant du méthane) et de l'interdépendance des espèces dans un écosystème est l'équivalent de la connaissance de la théorie polyvagale pour le SNA. Cette connaissance est un préalable pour agir de manière éclairée.

2. Conscience : le signal d'alarme

La conscience polyvagale consiste à être à l'écoute de son corps. Pour l'environnement, cela se traduit par une conscience des signaux que les écosystèmes nous envoient. C'est remarquer les signes d'une "détresse" écologique : une rivière qui s'assèche, la disparition d'une espèce locale, ou une augmentation de la pollution.

Exemple : Quand on réalise que notre consommation d'énergie est la cause d'un dérèglement climatique, cela peut provoquer un sentiment d'anxiété. L'équivalent de la conscience polyvagale serait d'identifier ce sentiment non comme une faiblesse, mais comme un signal salutaire que notre système a besoin d'agir pour retrouver son équilibre. C'est la prise de conscience des signaux de l'écosystème.

3. Régulation : l'action bienveillante

La régulation polyvagale pour un individu consiste à agir pour retrouver un état de calme. Pour les écosystèmes, la régulation se traduit par des actions concrètes qui visent à rétablir l'équilibre et à réduire le "stress" environnemental.

Exemple : Les actions comme la réduction de notre empreinte carbone, le soutien à l'agriculture durable ou la participation à la reforestation sont des formes de régulation. Elles ne visent pas seulement à "réparer" la planète, mais à recréer un environnement où la vie peut à nouveau prospérer. Tout comme la co-régulation avec un autre être humain, notre bienveillance se traduit par des actions qui permettent à l'écosystème de se "réguler" lui-même.

En somme, ce modèle peut être généralisé. La bienveillance, qu'elle soit personnelle ou environnementale, est une dynamique qui part de la connaissance, se transforme en conscience et aboutit à l'action, dans un cercle vertueux avec un nouveau cycle (compréhension, conscience et régulation).



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