vendredi 21 juin 2024

Chronique : La bienveillance en curseurs - Episode 1

Dans mes travaux de modélisation d'une société et de territoires de la bienveillance, la plupart des éléments centraux sur lesquels j'ai produit des articles, des schémas, des outils pratiques sont venus dans une forme de fluidité.

Il y en a un que je mets régulièrement de côté, ne trouvant pas la fluidité qui me semblerait nécessaire : la bienveillance en curseurs.

Alors, j'ai décidé d'avancer sur ce sujet en inversant ma méthode habituelle : commencer par l'écriture pour arriver à la modélisation. Je démarre ainsi l'écriture de chroniques et je tirerai le fil, nourri je l'espère par des feedbacks qui pourront m'être faits. Et c'est aussi un contexte particulier qui m'y engage. J'y reviendrais en fin de chronique.

Cet aspect de la bienveillance m'a interpellé dans notre rapport à la nourriture et aux animaux, en interrogeant mes propres pensées et comportements.

Quand j'étais petit, et probablement de manière peu originale, je répondais "vétérinaire" quand on a commencé à me demander ce que je voudrais devenir plus tard.

Quand je suis arrivé à l'adolescence, j'ai appris une manière très particulière de prendre soin des animaux : mon grand-père m'a initié à la pêche à la truite (les truites Fario pour les spécialistes) dans deux ou trois ruisseaux ou petites rivières du massif central . Des truites, j'en ai pêché quelques-unes. Elles n'ont même pas fini dans ma propre assiette car je n'en étais pas tellement friand et c'est plutôt ma famille qui en a profité, sans en faire de festins car déjà à l'époque les pêches n'étaient pas miraculeuses et les anciens, comme mon grand-père, s'en plaignaient et l'attribuaient à la pollution.

J'ai donc pêché des truites, les ai forcément fait souffrir. J'ai rejeté dans l'eau celles qui n'avaient pas la bonne taille (18 cm si je me rappelle bien) et quant à celles destinées à être mangées, j'ai mis fin à leur jour (pour leur éviter une asphyxie plus ou moins longue), selon les conseils de mon grand-père.

Je pêchais avec des appâts vivants : vers de terre, vers d'eau, sauterelles, que j'empalais sur un hameçon, et sans état d'âme particulier.

Par contre, il ne fallait pas me parler de chasse. Je ne me voyais pas tuer du gibier. Je ne me voyais pas non plus accompagner quelqu'un à la chasse en tant qu'observateur. Pour autant, je n'étais pas un opposant à la chasse, à la dénoncer.

Je me souviens d'un retour particulier de nos épopées de pêche qui nécessitaient plusieurs heures de marche aller-retour à partir du village où mes grands-parents avaient une maison de famille. Ce jour-là, dans une ferme longeant le chemin que nous empruntions, un agriculteur était en train d'égorger un cochon (une fois mort, le "cochon" devient un "porc" sur les étals des commerces). Ses cris, sa souffrance m'ont beaucoup marqué bien que n'ayant vu aucune image de cette scène. Marqué oui, mais cela ne m'a pas empêché de manger de la viande depuis.

"Deux poids, deux mesures" : telle est l'idée qui m'est venue quand j'ai voulu modéliser cet aspect de la bienveillance. Et il y a aussi "Chacun voit midi à sa porte ... et désapprouve celui qui voit et fait autrement".

Je poursuis sur la question de notre rapport aux êtres vivants et à la nourriture. Imaginons la situation où plusieurs personnes évoquent ensemble leur rapport à la nourriture, le cas échéant de manière confrontante, voire violente verbalement : 

  • une première mange de la viande à tous les repas et de toutes sortes et sans états d'âme pour les animaux en question ; elle se dit "viandarde" et le dit haut et fort,
  • une deuxième, aussi "viandarde" que la première, sauf que le vendredi, c'est place au poisson, pour des raisons religieuses,
  • une troisième mange de la viande de temps en temps, et dit s'enquérir des conditions d'élevage, de transport et d'abattage de l'animal,
  • une quatrième mange végétarien et de préférence bio,
  • une cinquième mange végan.
Peut-être que la quatrième personne va à la fois critiquer la première et la deuxième pour leur manque de cœur, la troisième parce qu'elle se cache derrière son petit doigt et trouver que la dernière en fait peut-être un peu trop, voire suit un effet de mode qui ne durera pas. La première va peut-être mépriser les quatrième et cinquième personne ou leur reprocher leur supposée ou réelle intolérance. Je reviendrai dans un prochain épisode sur le sujet de la tolérance que j'avais commencé à aborder dans mon article Tolérance ET Indignation.

En cela, je considère que chaque culture, chaque individu influencé en partie par sa culture, place son propre curseur de la bienveillance par rapport à la nourriture et les animaux qui peuvent entrer ou non dans sa composition. Par bienveillance pour les animaux ou pour d'autres raisons comme la dimension sacrée ou l'hygiène.



Plus généralement, au-delà de ce en quoi un animal peut entrer dans la composition de la nourriture, il y a aussi des curseurs culturels et individuels sur le rapport au monde animal. Sébastien Bohler dans son livre Human psycho fait référence à des études qui montrent que le niveau d'empathie de l'être humain envers une espèce autre qu'humain est inversement proportionnel à la distance qui les sépare dans l'arborescence des espèces. Notre empathie sera largement plus forte pour un singe que pour un concombre de mer.

Toujours dans le même livre, Sébastien Bohler pointe un risque sur le sujet de l'empathie : quand l'empathie est entendue de manière exclusive et en opposition - mon groupe, ma communauté en opposition à d'autres groupes ou communautés - elle fixe un curseur de la bienveillance qui  peut faire basculer de la bienveillance à la malveillance, avec une vision binaire : nous les gentils, eux les méchants. Autrement dit, si tu fais partie de mon groupe, je vais prendre soin de toi, et sinon, je t'ignore, voire je t'élimine si on pouvait te considérer comme un danger réel, potentiel, ou même imaginaire. Et même, il suffit que tu puisses simplement nous gêner pour qu'on se permette des comportements non bienveillants. Probablement que les parties sombres de l'histoire de l'humanité, les conflits et les guerres reposent sur cette conception délétère de l'empathie, souvent avec des manipulateurs à leur tête ou en coulisses ; des psychopathes dont justement deux des quatre caractéristiques (1) selon Sébastien Bohler sont la manipulation et l'absence totale d'empathie.




Or, à l'image de l'altruisme, l'empathie véritable n'est pas exclusive. C'est une attitude indépendante de qui avec on interagit, de quel individu, de quel groupe, de quelle communauté à qui on pense ou à qui on a à faire. C'est la philosophie et l'éthique que promeut Matthieu Ricard dans son livre Plaidoyer pour l'altruisme - La force de la bienveillance.

Et c'est probablement justement dans les situations où l'on se sent menacé ou simplement gêné qu'il faut activer en première intention une dimension essentielle de l'empathie : chercher à comprendre par l'observation, l'écoute, le dialogue, rechercher les ressemblances plutôt que les différences, ce sur quoi on peut s'entendre, tout en restant vigilant à fixer des curseurs de la bienveillance, des lignes en pointillés, des lignes jaunes et des lignes rouges. Une exigence et un effort de discernement.

Il y a un lien entre cet aspect des curseurs et 3 enjeux de la bienveillance fruits de mon travail de modélisation :



Une variété de lignes pointillées ou en continu, de couleur jaune ou rouge, ...  ce sera probablement mon point de départ d'un deuxième épisode à venir.

Fin de ce premier épisode qui résonne pour moi avec le choix qui nous sera fait dans quelques jours pour le renouvellement de l'Assemblée Nationale et de la gouvernance pour notre pays, en interdépendance avec tous les autres pays et autres peuples de notre planète pour y conserver ce que quantité de générations nous ont donné et laissé à notre bienveillance et notre vigilance.

Pour rappel, ma vision posée le 1ier mars 2022 d'une société et de territoires de la bienveillance.

(1) les 4 caractéristiques d'un psychopathe selon Sébastien Bohler : 
1/ un ego surdimensionné
2/ manipulation
3/ absence totale d'empathie
4/ impulsivité, irresponsabilité et persévérance dans l'erreur


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