Des piliers de la robustesse avec le prisme de la bienveillance


Dernière édition le 9/11/2025

Je propose ici des piliers pour le développement et le maintien de la robustesse en croisant la conception de la robustesse d'Olivier Hamant, ma modélisation de la bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables, la théorie polyvagale et la fenêtre de tolérance.

Voici une liste de proposition de piliers de la robustesse avec le prisme de la bienveillance organisée en 4 catégories. Cette page est en mode "vivant" et est susceptible d'évoluer dans le temps. A ce jour, ils sont au nombre de 16, sachant que le nombre importe peut. Même si je les présente comme un tout avec une influence mutuelle, il faut les voir comme autant de fils à tirer par la lectrice ou le lecteur :
  • Un cadre :
    • 1) La Bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables qui constitue le châssis
  • Des postures
    • 2) Le Temps régulateur, comme condition sine qua non
    • 3) La Joie, comme énergie vitale
    • 4) La Curiosité moteur infatigable d’exploration et de renouvellement
    • 5) La Lucidité et l'Humilité pour une conscience incarnée
    • 6) La Tempérance en antidote à la culture de la performance et à la fuite en avant
    • 7) L'Acceptation pour absorber les inévitables fluctuations
    • 8) Le Contentement en tant qu'ancrage émotionnelfaisant appel à l'appréciation, la gratitude et la reconnaissance
  • Un pont de décision :
    • 9) La Respiration régulatrice comme outil d'ancrage
    • 10) L'Ecoute vivante comme pont relationnel
    • 11) Le Discernement comme boussole
    • 12) L'Engagement juste en tant que régulateur d'énergie
  • Des dynamiques :
      • 13) L'Improvisation vivante comme source de spontanéité et de créativité
      • 14) L'Interdépendance vivante dans la coopération et l'entraide
      • 15) La Régulation comme dynamique de création de sécurité et de soutien
      • 16) L'Apprentissage adaptatif comme dynamique de plasticité permettant d'apprendre, de reconnaître, de réguler et d'évoluer
    Ces piliers sont interdépendants, se nourrissent et se renforcent mutuellement. Par exemple, l'apprentissage adaptatif est favorisé par la curiosité, et l'engagement juste par la lucidité et l'humilité.


    Un cadre

    Il s'agit du châssis éthique du modèle. La Bienveillance est le filtre constant qui guide toutes les postures et dynamiques, assurant que l'action nourrit simultanément 4 dimensions de la Bienveillance.

    1) La Bienveillance, comme structure de régulation fractale

    "La non-violence, sous sa forme active, consiste en une bienveillance envers tout ce qui existe. C'est l'amour pur." 
    Ghandi
    Ma modélisation de la bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables, appelée par la suite "Bienveillance 4D" est posée ici comme fondation, avec une approche fractale. L'approche fractale, c'est une approche systémique qui postule qu'un même motif (structure, principe, mécanisme) se répète à différentes échelles, du plus petit (l'individu, la cellule) au plus grand (le collectif, l'écosystème). On peut trouver deux exemples dans la nature : la fougère et le chou romanesco.



     
    C'est le cœur régulateur de la robustesse. Elle permet :
    • la cohérence interne et l'écologie intérieure (Moi-Je / Vous en Moi) ;
    • la co-régulation (Toi et Moi)
    • la résilience collective et écosystémique (Moi dans des Nous)
    Dans ce modèle, la bienveillance remplace le contrôle par la régulation — une bascule fondamentale du paradigme de la performance à celui du vivant.

    En faisant de la recherche d'un équilibre entre les 4 dimensions ("Moi Je", "Vous en Moi", "Toi et Moi", "Moi dans des Nous") le principe fondamental, ce modèle proscrit structurellement l'hyper-optimisation (la performance) au profit d'une seule dimension ou dans l'impasse d'une ou plusieurs dimensions (notamment la posture sacrificielle), ce qui est la cause première de la fragilité.

    Ces dimensions sont en effet indissociables : négliger l’une d’elles crée des déséquilibres, comme un système nerveux dont une voie serait bloquée.

    Elles sont aussi réplicables à toutes les échelles (principe holonique et approche fractale) : chaque individu, groupe ou territoire fonctionne selon les mêmes types de dynamiques internes de soin, de sens, de lien et de contribution. Bien entendu, les dynamiques ne sont pas identiques en tous points à chaque échelle, mais cette modélisation permet d'y retrouver les mêmes enjeux et les mêmes grands principes.

    Des postures

    La robustesse par la bienveillance repose sur des postures, à travers 7 piliers qui sont les conditions intérieures (cognitives et émotionnelles) nécessaires à une action juste et durable.

    2) Le Temps régulateur, comme condition sine qua non

    "Se donner du temps, plutôt que l'obsession de ne pas en perdre"  
    Olivier Hoeffel, auteur de la page

    Dans un système optimisé et sous pression, le temps est considéré largement comme une ressource à maximiser, avec un proverbe dans toutes les têtes "Le temps, c'est de l'argent". 

    L'approche de la robustesse, elle, postule que le temps n'est pas un coût mais une marge de sécurité. Le Temps régulateur est la posture active qui consiste à se donner de l'air, à ralentir consciemment, et à refuser l'urgence chronique comme norme, voire comme diktat

    Il s'agit d'intégrer consciemment de la lenteur stratégique pour permettre l'ajustement non-panique et non-frénétique des systèmes. Ce temps non optimisé n'est pas perdu : il est la condition sine qua non pour que la Régulation (Pilier 15) puisse s'opérer sans basculer dans la crise. Il permet de discerner avant d'agir, et de s'entraider sans être dans l'urgence sacrificielle.

    Le Temps Régulateur génère en réalité des marges de manœuvre et du temps pour deux raisons fondamentales et très concrètes, quantitativement (la quantité de crises et des tensions) et qualitativement (leur intensité), justifiant son efficacité à long terme :

    • Le gain par la prévention : La prévention et la qualité permises par la lenteur stratégique réduisent de manière importante le temps et l'énergie consacrés ultérieurement à régler les problèmes et les crises engendrés par la vitesse et les impasses.
    • Le gain par l'efficacité : Se donner le temps de la réflexion permet de se concentrer sur les causes profondes plutôt que sur les symptômes, permettant ainsi d'agir avec plus d'efficacité, d'éviter la répétition sans fin des mêmes problèmes et de consacrer du temps et de l'énergie à des solutions temporaires.


    3) La Joie, comme énergie vitale

    "Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple" 
    Jacques Prévert

    La plupart d’entre nous ont appris à penser la joie comme quelque chose qui vient après l’effort, et particulièrement après l’effort au travail :

    on réussit → on est fier → alors, on peut être heureux.

    Dans une approche de robustesse vivante, on renverse cette logique.

    On s’intéresse non pas seulement à l’aval de l’action, mais à son amont : à ce qui nous met en mouvement.

    La joie, avant d’être la récompense de l’action, en est le carburant.

    L'énergie vitale est la posture qui nous enjoint à préserver notre propre source d'énergie, pour que l'Engagement juste (Pilier 12) ne dégénère jamais en sacrifice. 

    Il est intéressant de considérer l'impact de la joie avec le prisme de la théorie polyvagale :

    1. Lorsqu'elle est présente au service d'une mobilisation, elle facilite l'activité d'un état mixte, combiné entre l'état de sécurité (nerf vague ventral) et l'état de mobilisation (système sympathique) du Système Nerveux Autonome (SNA).
    2. Lorsque la joie s’éteint et que la tension s'installe, l’engagement devient effort, correspondant à l'état de mobilisation de la théorie polyvagale, une mobilisation face à une situation de danger perçue par le SNA.
    3. Une mobilisation chronique a fort risque de se transformer en épuisement (burnout), correspondant à l'état d'immobilisation (nerf vague dorsal). En quelque sorte, c'est la descente de l'échelle polyvagale, souvent pernicieuse dont on fait fi des signaux pourtant bien visible, la disparition de la joie étant un signal à fort à prendre en compte le plus tôt possible.

    Cultiver l'énergie vitale, c'est reconnaître que l'épuisement individuel - qui peut devenir aussi collectif - est un signal d'échec systémique et qu'on ne peut pas contribuer à la robustesse d'une relation, d'un groupe - ou plus largement à la robustesse d'un écosystème d'appartenance - si l'on est soi-même ruiné par un processus commençant par la disparition de la joie.

    Il y a aussi un enjeu d'envergure dans le contexte d'emballement climatique - provoqué par les humains -  : la robustesse de la transformation radicale nécessaire tient dans ce que les dynamiques de transformation soient choisies et investies avec enthousiasme et inspiration, plutôt que subies, forcées, de mauvaise grâce ou dans la résistance.

     4) La Curiosité, moteur infatigable d’exploration et de renouvellement

    "Je n'ai pas de talent particulier. Je suis seulement passionnément curieux" 
    Albert Einstein

    La robustesse ne se réduit pas à la stabilité : c’est la capacité à se réinventer sans se rompre.

    La curiosité, comme disposition du vivant, permet d’explorer sans peur. Elle est l’énergie adaptative qui entretient la plasticité.

    La curiosité mérite d'être considérée comme un pilier fondamental de la robustesse, car elle est la précondition de la lucidité et le mécanisme d'activation de l'apprentissage adaptatif.

    La curiosité est le désir de savoir et de comprendre. Sans elle, la lucidité se fige dans le connu. Elle pousse à explorer l'état réel (physique, émotionnel, écosystémique), même lorsqu'il est inconfortable, ce qui est l'inverse de la performance qui cherche à ignorer les signaux faibles.

    Elle initie la boucle d'apprentissage. Face à une fluctuation, elle pose la question : "Que s'est-il passé ? Qu'est-ce que cela m'apprend ?" Elle soutient la plasticité nécessaire pour réagir aux nouvelles formes de crise.

    Fractalement, la curiosité relie les niveaux : 

    • (Moi Je) : curiosité pour ses propres aspirations profondes.
    • (Toi et Moi) : curiosité pour l'autre, son vécu, ses sentiments, ses besoins, sa santé, son niveau d'engagement.
    • (Moi dans des Nous) : curiosité pour la grande diversité des écosystèmes d'appartenance.
    • (Vous en Moi) : curiosité pour le fonctionnement du corps et de l'esprit. Pour un collectif, c'est la curiosité envers l'engagement des membres, leurs sentiments, leurs aspirations, les difficultés qu'ils rencontrent, leurs réussites, leurs contributions au bien vivre ensemble, ...

    5) La Lucidité et l'Humilité, pour une conscience incarnée

    "Connais-toi toi-même" 
    Inscription sur le fronton du temple de Delphes

    La lucidité n’est pas une froide observation : c’est une veille vivante sur les signaux du corps, du psychisme, des liens et des milieux. La lucidité ne se ment pas et ne ment pas quel que soit le tableau.

    L'humilité est une juste conscience de soi et de ce qui n'est pas soi. Elle considère de manière systémique et systématique l'interdépendance qu'elle valorise (lien avec le pilier Contentement et ses dimensions de gratitude et de reconnaissance). Elle est le mécanisme d’adaptation qui permet de rester ouvert à la rétroaction du monde.

    C’est aussi une condition de la régulation collective : reconnaître ses angles morts pour accueillir la corégulation.

    Fractalement, l’humilité s’applique : 

    • à soi (écouter son corps et reconnaître la place déterminante et première du système nerveux autonome (SNA), et plus globalement de la santé).
    • à l’autre (ne pas savoir à sa place).
    • et et aux écosystèmes (ne pas prétendre maîtriser le vivant).

    Lucidité et Humilité constituent le "tableau de bord" de la robustesse. La référence au "Connais-toi toi-même" est ici centrale.

    • Lien avec la Fenêtre de Tolérance : La lucidité sur son état polyvagal et émotionnel est la définition même de l'intéroception. C'est la capacité à sentir où l'on se situe dans sa fenêtre de tolérance. L'humilité devant la place toute relative de notre propre volonté face à notre SNA.
    • Lien avec la robustesse selon Olivier Hamant : La lucidité sur les écosystèmes est ce qui manque cruellement au modèle de la performance, qui fonctionne en "voie étroite" en ignorant les externalités négatives (les signaux faibles de l'écosystème et les dommages collatéraux générés).

    Sans lucidité, l'équilibre des 4 dimensions de la bienveillance est impossible, car on ne sait pas quoi équilibrer.


    6) La Tempérance, en antidote à la culture de la performance et à la fuite en avant

    "Rien de trop" 
    Inscription sur le fronton du temple de Delphes
    Une autre citation peut servir de mantra "Le mieux est l'ennemi du bien" généralement attribué à Voltaire mais qui a été antérieurement sous la plume de Montesquieu.

    C'est l'application directe de la thèse d'Olivier Hamant :
    • La performance vise "le mieux" (l'optimisation maximale). La robustesse vise "le bien" (le viable, le "suffisant", le good enough, le Sam'suffit du psychologue Barry Schwartz auteur du livre "Le paradoxe du choix").
    • La tempérance est l'action de maintenir volontairement des marges de manœuvre et de fonctionner en mode "sous-optimal" pour pouvoir absorber les fluctuations.
    La tempérance replace la sobriété (heureuse, en lien avec le pilier Contentement) comme condition de robustesse, et non comme privation (lien avec le pilier Acceptation).

    7) L'Acceptation, pour absorber les inévitables fluctuations

    "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" 
    Rabelais

    C'est le pilier philosophique, écologique, éthique et psychologique qui rend la tempérance possible. Elle permet d’embrasser la limite comme source de sagesse.

    La performance est addictive car elle promet la maximisation (profits, facilités). La robustesse exige d'accepter la sobriété

    La référence à Rabelais ("Science sans conscience n'est que ruine de l'âme") est fondamentale. Une "science" (ou une technologie, une économie) "sans conscience" (sans lucidité sur l'écosystème et sans tempérance éthique) est un système performant qui crée sa propre "ruine" (son propre effondrement systémique).

    L'Acceptation appelle à interroger notre société sur la pertinence du développement scientifique dans des directions délétères pour les humains et les écosystèmes autres qu'humains. La pratique de l'Acceptation passe par des filtres de questionnement éthique, dérivés du mouvement Zéro Déchet, et je vous en propose ici une série de 5 filtres 

    1. Besoin : À quel besoin fondamental (humain ou écologique) ce projet répond-il réellement ?
    2. Ego : Le projet sert-il principalement à satisfaire la renommée, la validation ou la volonté de contrôle de ses auteurs, ou la robustesse du système (humains et vivant) ?
    3. Implémentation : Pouvons-nous mettre en œuvre et réguler cette technologie de manière sûre dans le contexte social actuel ?
    4. Substitution : Existe-t-il des solutions ou des méthodes moins performantes, mais plus robustes ou moins risquées (basées sur la nature, la sobriété, ou la technologie existante) ?
    5. Conséquences : Quelles sont les conséquences systémiques non voulues (négatives) sur l'humain et le vivant à court, moyen et long terme, et y a-t-il consensus pour les accepter ?
    Cette série de questions doit amener le cas échéant à l'acceptation du refus du développement de projets qui pourtant pourraient nourrir l'ego de certains, offrir un plus grand confort ou plus de facilités, profiter financièrement et/ou politiquement à quelques-uns, ... autrement dit, servir des intérêts particuliers à court terme, au détriment de la population générale, des générations futures et de la planète.

    8) Le Contentement, en tant qu'ancrage émotionnel

    "Le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l'accent, dans la démarche, et semble se communiquer à celui qui l'aperçoit" 
    Jean-Jacques Rousseau

    Le trio appréciation, gratitude, reconnaissance, qui mène au contentement, est également indispensable. Il agit comme le grand régulateur émotionnel de la robustesse.

    Lien avec l'acceptation : le contentement est le socle de l'acceptation. On n'accepte la sobriété et le "sous-optimal" (Tempérance) que si l'on est capable d'apprécier ce qui est, plutôt que de toujours courir après ce qui manque (le propre de la performance).

    Lien avec la tempérance :  la gratitude est l'antidote à la compétition et à l'avidité engendrées par la performance. Elle permet de respecter le principe de "Rien de trop" en valorisant ce qui est déjà là.

    Lien avec la régulation, et particulièrement la co-régulation : la reconnaissance est un acte social de co-régulation puissant (le "ciment" des territoires de la bienveillance). Elle renforce les liens "Toi et Moi" et "Moi dans des Nous" et crée un sentiment de sécurité et d'appartenance indispensable à la robustesse collective.

    Fractalement, le contentement à travers le trio appréciation-gratitude-reconnaissance relie les niveaux : 

    • (Moi Je) : appréciation et gratitude vues comme des émotions positives que l'on vit soi-même.
    • (Toi et Moi) : expression de la gratitude et de la reconnaissance (les gestes de reconnaissance incluant les gestes de gratitude) envers l’autre,
    • (Moi dans des Nous) : gratitude et reconnaissance envers les écosystèmes d'appartenance et le monde (émerveillement).
    • (Vous en Moi) : gratitude et reconnaissance des collectifs envers leurs membres, et pour ce qui concerne l'individu, l'émerveillement du bon fonctionnement de son corps et de son esprit.

    Ce pilier assure que la robustesse n'est pas vécue comme une privation (ce que la performance nous fait croire), mais comme un état de plénitude viable, partagé et communicatif.

    Un pont de décision

    Le pont de décision est constitué de 4 piliers. Il prépare à l'action, et donc fait le pont entre les postures précédentes et les dynamiques présentées par la suite.

    9) La Respiration régulatrice, comme outil d'ancrage

    "De temps en temps se retirer de ce qu'on fait, et gagner quelque hauteur pour respirer et dominer." 
    Jules Renard

    La respiration régulatrice est le rythme du vivant. Elle est le geste fondamental qui permet d’alterner tension et relâchement, action et pause, engagement et retrait. Dans une approche de robustesse, elle devient une posture active : celle qui crée de l’espace, du souffle, du discernement.

    Dans les systèmes sous pression, la respiration est souvent comprimée, ignorée, sacrifiée au nom de l’efficacité. Pourtant, c’est elle qui permet de prévenir l’emballement, de réguler les élans, de accueillir l’imprévu sans panique.

    Respirer, c’est refuser la saturation. C’est créer de la sécurité pour le Système Nerveux Autonome, créer des marges de sécurité dans le corps, dans le collectif, dans le temps. C’est permettre à l’écoute de s’installer (pilier 10), au discernement de s’affiner (pilier 11), à l’engagement de rester juste (12) et c'est une pratique de régulation (pilier 15).

    La respiration régulatrice est aussi un geste symbolique : elle incarne le rythme du vivant, la pulsation du lien, la danse entre le dedans et le dehors. Elle peut être ritualisée, partagée, amplifiée — comme un enjeu collectif qui soutient la robustesse. C'est aussi un enjeu d'éducation : qui a appris à (bien) respirer dans son enfance comme on lui a appris à lire et à compter ?


    10) L'Ecoute vivante, comme pont relationnel

    "Réfléchir, c’est à dire à écouter plus fort." 
    Samuel Beckett

    L’écoute vivante est une posture active de présence. Elle ne se contente de recevoir : elle accueille, relie, ajuste. Elle est le geste fondamental qui permet à la relation de respirer, à la parole de se déposer, à la relation de se modeler dans la fluidité, à la coopération de s’ancrer dans le réel.

    Dans une approche de robustesse, l’écoute n’est pas un supplément d’âme : elle est une condition de régulation, une porte d’accès au discernement, une source d’ajustement collectif. Elle permet de capter les signaux faibles, de reconnaître les besoins implicites, de prévenir les tensions avant qu’elles ne deviennent des crises, de réguler au plus juste.

    L’écoute vivante est aussi une posture éthique : elle implique de suspendre le jugement, de ralentir le rythme, de créer un espace de sécurité. Elle est le contraire de l’écoute stratégique ou instrumentale : elle ne cherche surtout pas à répondre, mais à comprendre.

    Dans les collectifs, elle devient geste de soin, acte de reconnaissance, mouvement de robustesse partagée. Elle permet à chacun de se sentir entendu, reconnu, ajusté — et donc capable d’agir sans se suradapter ni se retirer.


    11) Le Discernement, comme boussole éthique

    "Il est malheureux que les gens ne voient que les différences qui les séparent. S'ils regardaient avec plus d'amour, ils discerneraient surtout ce qu'il y a de commun entre eux, et la moitié des problèmes du monde seraient résolus." 
    Paulo Coelho
    Le Discernement est la fonction exécutive du modèle de robustesse. Agissant comme une boussole éthique, son rôle est d'évaluer la situation, et de traduire l'état d'esprit (Postures, P2 à P8) en une intention d'action juste.

    C'est l'étape cruciale où l'on se demande : « Au regard de la Bienveillance 4D, quelle est la réponse la plus adéquate ? ».

    Le Discernement évite l'action automatique ou réactive. Il utilise la Conscience Humble (Pilier 5) pour accepter l'incertitude et la Tempérance (Pilier 6) pour trouver la juste mesure. Le résultat direct du Discernement est le choix précis du niveau d'effort, incarné par l'Engagement Juste (Pilier 12).

    12) L'Engagement juste, en tant que régulateur d'énergie

    "L’engagement juste est celui qui me relie toujours à moi-même, dans toute mon unité" 
    Olivier Hoeffel, auteur de la page

    Ce pilier interpelle particulièrement deux dimensions de la bienveillance en 4D.

    • Équilibre sous/sur-engagement : C'est la gestion comportementale de la fenêtre de tolérance. Le sur-engagement (burn-out) est la sortie par l'hyper-activation ; le sous-engagement (bore-out, retrait) est la sortie par l'hypo-activation. Il est lié au pilier Régulation.
    • Engagement dans les valeurs : C'est ce qui connecte le "Moi Je" (mes aspirations) au "Moi dans des Nous" (ma contribution au collectif).

    L'engagement juste est l'état d'un système robuste qui alloue ses ressources de manière équilibrée (tempérance) en fonction des informations reçues (lucidité) pour maintenir sa structure (bienveillance en 4D).

    Il est crucial car il est la manière dont le système agit et dépense son énergie après avoir été informé par la Lucidité et régulé par la Tempérance et le Contentement. Il est l'interface entre l'intention et l'action.

    Des dynamiques

    Les dynamiques sont constituées de 4 piliers. Ils sont les mécanismes d'exécution systémique qui mettent l'intention en action, collectivement et individuellement.

    13) L'Improvisation vivante, comme source de spontanéité et de créativité

    "L'esprit d'improvisation est un défi au sens créateur." 
    Charlie Chaplin

    L’improvisation vivante est l’art d’ajuster en temps réel, avec souplesse, créativité et présence.

    Elle ne relève pas du chaos ni de l’impréparation, mais d’une capacité à danser avec l’imprévu, à composer avec les contraintes, à inventer des réponses situées sans perdre le cap.

    Dans une approche de robustesse, improviser ne signifie pas réagir dans la panique, mais agir avec discernement, en mobilisant les ressources disponibles, les liens présents, les rythmes du moment. C’est une dynamique adaptative, fondée sur la confiance, la plasticité et l’écoute du vivant.

    L’improvisation vivante repose sur plusieurs piliers :

    • La curiosité ouverte qui permet d’explorer sans rigidité
    • L'écoute qui permet de s'ajuster à l'autre, dans le moment
    • Le contentement qui autorise à faire avec ce qui est là
    • La respiration régulatrice qui crée l’espace nécessaire à l’ajustement
    • L’interdépendance vivante qui offre des appuis relationnels pour co-créer

    Improviser, c’est reconnaître que le vivant ne suit pas de plan fixe, mais évolue par ajustements successifs, par bifurcations fécondes, par réponses situées. C’est une compétence collective, une posture d’agilité, une dynamique de transformation.


    14) L'Interdépendance vivante, dans la coopération et l'entraide

    "La coopération, c'est quand on va contre sa performance individuelle pour nourrir la robustesse du groupe." 
    Olivier Hamant

    L'Interdépendance vivante est l'état du système où la robustesse repose sur des liens qui sont activement choisisengagésvécusincarnésajustésopérants et valorisés

    Elle intègre la Coopération comme un acte allant contre la performance individuelle pour nourrir la robustesse du groupe ou de la relation.

    Cet engagement demande d'accepter deux coûts essentiels :

    • L'acceptation de la non-maximisation : renoncer à la pleine optimisation des intérêts et bénéfices personnels, surtout à court terme, au profit de la viabilité à long terme du collectif ou de la relation (lien avec le pilier n°7).
    • La régulation de la liberté : céder une partie de son autonomie rigide pour permettre l'ajustement constant et la Régulation (Pilier n°15) mutuelle.

    Elle intègre aussi l'Entraide comme double enjeu : celui de la robustesse et celui de la bienveillance. L'entraide joue à travers les dimensions :

    • "Toi et Moi", entre individus ou collectifs,
    • "Vous en Moi", dans la responsabilité de bienveillance d'un collectif envers ses membres, et également dans une approche transcendantale quand un membre d'un collectif déploie son énergie au service de son collectif en difficulté (avec l'exigence de s'assurer d'un engagement juste).

    L'interdépendance vivante transforme la simple dépendance mutuelle en une source de sécurité systémique et de soutien réciproque, agissant comme le mode de Régulation (Pilier n°15) du collectif et des relations interpersonnelles.


    15) La Régulation, comme dynamique de création de sécurité et de soutien

    "Rien n’est figé. Réguler, c’est accepter de danser avec ce qui change." 
    Olivier Hoeffel

    Le pilier Régulation est la clé de la robustesse systémique. La régulation conjugue plusieurs échelles, en cohérence avec la modélisation de la bienveillance 4D :

    1. Autorégulation (Niveau Individuel)

    • Ce que c'est : La capacité de l'individu à utiliser les autres piliers (Lucidité, Tempérance, Contentement...) pour rester dans sa propre fenêtre de tolérance.
    • Niveau d'échelle : C'est le niveau 0, l'entité de base. C'est la robustesse de l'individu ("Moi Je", "Vous en Moi").
    • Transformation : C'est le socle de la transformation personnelle.

    2. Corégulation (Niveaux Relationnels)

    La corégulation peut se décomposer de la manière suivante :

    2.a. Corégulation interpersonnelle

    • Ce que c'est : Le soutien mutuel entre deux individus, avec des états qui peuvent être contrastés (état de sécurité vs état de danger) et où l'individu en état de sécurité peut aider celui en état de danger de retrouver l'état de sécurité.
    • Niveau d'échelle : C'est le niveau "Toi et Moi". C'est le lien le plus direct dans les territoires de la bienveillance.
    • Transformation : C'est le ciment des relations de confiance.

    2.b. Corégulation Collective

    • Ce que c'est : Les mécanismes qu'un groupe (équipe, famille, organisation) met en place pour assurer son équilibre, sa sécurité psychologique et sa robustesse.
    • Niveau d'échelle : C'est la conjugaison des niveaux "Moi dans des Nous" et "Vous en moi". C'est la robustesse du territoire collectif de la bienveillance.
    • Transformation : C'est la transformation organisationnelle ou communautaire.

    2.c. Corégulation Intercollective

    • Ce que c'est : La manière dont différents groupes ou "îles" interagissent, s'allient et se soutiennent mutuellement au sein de l'Archipel global.
    • Niveau d'échelle : C'est le niveau de l'idée d'Archipel de la bienveillance promue sur le site dédié bienveillance-archipels.org. C'est la conjugaison des niveaux "Toi et Moi" entre deux collectifs, et les niveaux "Moi dans des Nous" et "Vous en Moi", entre collectifs
    • Transformation : C'est le socle de la transformation sociétale (l'interdépendance et la diversité à grande échelle).

    Ces différentes dynamiques peuvent être facilitées particulièrement par la connaissance et la pratique de la théorie polyvagale.

    Autorégulation et corégulation sont interdépendantes : 

    • L'Auto-régulation est la condition de la Co-régulation : Un individu (ou collectif) qui manque d'auto-régulation (peu de lucidité, d'engagement juste) épuisera rapidement les ressources du collectif. La transformation personnelle est donc un prérequis pour une participation saine à la transformation sociétale.
    • La Co-régulation protège l'Auto-régulation : Même le plus lucide et tempérant des individus peut être dépassé par une fluctuation extrême. C'est la co-régulation (le filet de sécurité d'un territoire de la bienveillance) qui intervient alors pour prévenir l'épuisement, permettant à l'individu de retrouver son équilibre (auto-régulation).
    Avec la Régulation, est mis en lumière un processus où les 16 piliers ne sont pas seulement juxtaposés, mais forment un système vivant où l'amélioration de soi (auto-régulation) est au service de l'amélioration du tout (co-régulation), conformément à l'esprit fractal de cette modélisation.

    La Régulation n'est pas un simple pilier, mais un processus fractal qui opère à toutes les échelles du système.

    Elle articule parfaitement comment la transformation personnelle (auto-régulation) est la condition nécessaire à la transformation sociétale (les différentes strates de la co-régulation), et inversement.

    16) L'Apprentissage adaptatif, comme dynamique de plasticité

    "“Nous n’arrivons dans ce monde qu’avec notre capacité à apprendre." 
    John Broadus Watson

    Un système robuste n'est pas un système rigide. La performance vise un état final optimisé (fragile) ; la robustesse vise la capacité à durer en s'adaptant.

    Pourquoi est-ce indispensable ? Parce que les fluctuations et les crises ne sont jamais identiques. La robustesse d'hier ne garantit pas celle de demain si le système n'apprend pas.

    Ce piler est relié avec la Lucidité et l'Humilité (pilier 5). Cela permet le diagnostic pendant ou après la fluctuation ("Je suis sorti de ma fenêtre de tolérance"). L'Apprentissage Adaptatif est l'action qui suit : "Comment cette sortie de fenêtre m'informe-t-elle ? Quelles nouvelles marges (Tempérance) ou connexions (Co-régulation) dois-je développer ?".

    C'est ce qui différencie la robustesse vivante (qui évolue) de la robustesse mécanique (rigide et cassante). Le vivant apprend de ses stress pour devenir plus apte à gérer les stress futurs.

    Sans apprentissage, un système robuste finit par devenir obsolète face à de nouvelles formes de "performance" ou de nouvelles crises.

    L'Adaptabilité, comme résultat et finalité des piliers

    "Dans un monde turbulent, il nous faudra basculer de l'adaptation vers l'adaptabilité." 
    Olivier Hamant

    L'Adaptabilité est la capacité de cultiver des marges de manœuvre et de la plasticité pour faire face à tout changement imprévu. Elle se construit en acceptant le sous-optimal (la non-performance) et se prépare à l'imprévisible. Elle est nourrie par la posture d'humilité et de lucidité.

    Elle se distingue de l'Adaptation qui est le fait d'anticiper un futur que l'on prétend connaître et d'optimiser ses atouts pour s'y préparer. Seulement, dans un monde de plus en plus incertain et fluctuant, cette approche peut se révéler arrogante et fragile. Si la fluctuation excède l'anticipation (l'accident nucléaire à Fukushima au Japon est un bon exemple), le système optimisé pour l'adaptation s'effondre. En réalité, l'adaptation prépare un avenir prévisible ou rattrape un retard, avec le risque d'adapter un système rigide pour en faire un nouveau système aussi rigide que le précédent.

    Les 16 piliers rendent opérationnelle l'adaptabilité de la façon suivante :

    • La Bienveillance 4D (pilier n°1) garantit que l'évolution se fait de manière viable, c'est-à-dire sans fragiliser l'une des quatre dimensions du système.
    • Se donner du temps dans la joie (piliers n°2 et 3) permet ne pas passer en force, de choisir le bon moment et d'avoir la bonne énergie pour faire face aux fluctuations et aux besoins de régulation.
    • La Curiosité, la Lucidité et l'Humilité (piliers n° 4 et 5) fournissant l'information précise sur ce qui doit bouger (l'état réel du système et de l'environnement).
    • La Tempérance et l'Acceptation (piliers n°6 et 7) créent les marges de manœuvre nécessaires en acceptant l'inconfort du changement et de l'erreur.
    • Le Contentement (pilier n°8) agit comme un mécanisme anti-performance et anti fuite en avant qui libère le système psychique de la quête incessante de l'optimal. Il crée la marge psychologique nécessaire pour accepter le changement et l'incertitude, qui sont les conditions sine qua non de l'Adaptabilité.
    • La Respiration régulatrice (pilier n°9) crée des marges de manœuvre, permet l’ajustement non précipité, soutient la plasticité du rythme.
    • L'Ecoute vivante (pilier n°10) capte les signaux faibles, ouvre à l’imprévu, facilite l’ajustement relationnel et collectif.
    • Le Discernement (pilier n°11) oriente les choix avec justesse, permet de doser l’effort, évite les réponses automatiques.
    • L'Engagement juste (pilier n°12) : changer de tactique ou de niveau d'effort en temps réel pour maintenir l'équilibre (sous/sur-engagement) est un acte d'adaptabilité.
    • L'Improvisation vivante (pilier n°13) transforme l’imprévu en ressource, mobilise la créativité située, permet l’ajustement en temps réel.
    • L'Interdépendance vivante (pilier n°14), c'est l'union en action qui amplifie l'adaptabilité et la robustesse.
    • La Régulation (pilier n°15) : la capacité à moduler son propre état (auto-régulation) et à ajuster ses interactions (co-régulation) est l'essence même de l'Adaptabilité. Si vous pouvez réguler votre réponse à un stress, aider à réguler autrui ou au sein d'un groupe, ou être aidé à vous régulé par autrui ou au sein d'un groupe, vous êtes adaptable.
    • L'Apprentissage adaptatif (pilier n°16) est la traduction active et dynamique de l'Adaptabilité.

    La cohérence fractale des piliers

    Comme explicité dans le pilier Régulation,  les 16 piliers proposés ici se répondent sur toutes les échelles : individuel, interpersonnel, collectif et inter-collectifs, à l'instar de l'initiative de Bienveillance en archipels imbriqués.

    Ce qui est esquissé ici est une robustesse fractale : chaque niveau reproduit le même motif de régulation, de soin et d’équilibre.

    Ainsi est visé une robustesse vivante, ancrée dans la sagesse, le vivant, la conscience, la coopération et l'entraide dans un cercle vertueux.

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