jeudi 29 décembre 2022

Ne pâtis pas de l'empathie et de la bienveillance !

 


Ce nouvel article m'a été inspiré par ma lecture toute fraiche du livre Human Psycho de Sébastien Bohler et d'un proverbe tibétain que j'ai découvert sur un réseau social "Fais-toi du bien sans faire de mal aux autres et fais du bien aux autres sans te faire du mal".

J'ai déjà évoqué sur lesverbesdubonheur.fr Sébastien Bohler auteur successivement de Le bug humain et Où est le sens ?, ses deux livres précédents. Les articles en question qui se réfèrent particulièrement à ces ouvrages sont :

Dans Human et Psycho, Sébastien Bohler (docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho) pose le constat que l'humanité considérée comme un ensemble se comporte vis à vis du vivant comme un psychopathe. 
Il caractérise un psychopathe à travers 4 dimensions :
  • un ego surdimensionné qui le fait se considérer comme supérieur à tout et au-dessus de tout ;
  • la manipulation, l'exploitation et/ou la soumission pour arriver à ses fins ;
  • une absence totale d'empathie (une incapacité à l'empathie) ;
  • une irresponsabilité par rapport aux conséquences moyen et long terme de ses actes et une impulsivité. En cela, il me semble qu'on peut le rapprocher de la dérive N°5 du striatum (cf Le bug humain) : Après moi le déluge. Je donne ci-dessous le schéma résumant les 5 dérives du striatum


Ce rapprochement que je fais avec les dérives du striatum trouve un écho dans l'article La psychopathie - L’éclairage des neurosciences medicolégales de Jean Decety, professeur en neurosciences à l'université de Chicago (août 2020) : "Le striatum, structure sous-corticale, qui possède un rôle clé dans l’anticipation des récompenses et la prise de décision, semble hypertrophié chez les psychopathes incarcérés".

Sébastien Bohler évoque principalement dans son ouvrage un dysfonctionnement - sous-activité - du cortex orbitofrontal et de sa liaison avec l'amygdale (que l'on nomme parfois le centre de la peur dans le cerveau). Il s'arrête dans Human et Psycho sur chacune des 4 dimensions à la fois pour :
  • éclairer la psychopathie individuelle ;
  • faire une transposition par rapport au comportement de l'humanité dans son ensemble ;
  • proposer des pistes de "traitement" du psychopathe Humanité.

Vous avez dit "empathie" ?

Dans son livre de référence sur l'altruisme et la bienveillance Plaidoyer pour l'altruisme - la force de la bienveillance, Matthieu Ricard exprimait une forme de mise en garde pour la bonne compréhension de la notion d'empathie : l'empathie sélective, réservée aux proches ou aux personnes qu'on choisit n'est pas de l'empathie véritable et généralisée. Elle est ce que la coopération fermée est à la coopération ouverte. La coopération fermée est repliée sur elle-même, réservée à ses membres et possiblement orientée contre d'autres. La coopération ouverte est inclusive et respecte et prend en compte les autres parties prenantes et essaye de coopérer aussi avec elles.

Sébastien Bohler met lui aussi en évidence que l'empathie ne doit pas être exclusive. Il va plus loin en expliquant que l'empathie exclusive est à double tranchant : autant elle prend soin de certains, autant elle déconsidère les autres et autorise possiblement à les ignorer, voire à les instrumentaliser, les asservir, leur faire du mal sans état d'âme, les détruire, ... On peut trouver de nombreux exemples dans les conflits entre humains dans toute l'histoire de l'humanité jusqu'à ce jour (pays, religions, ethnies, races, supporters de club de foot, orientation sexuelle, ...). Sans parler bien évidemment de la (non-)considération des humains envers le vivant en général et chacune des espèces, avec un niveau d'empathie inversement proportionnel à la distance de l'espèce humaine par rapport à l'espèce concernée dans l'arbre des espèces. C'est ce que Sébastien Bohler développe également dans son livre.

Sébastien Bohler et Matthieu Ricard se rejoignent aussi sur l'enjeu de cultiver notre empathie, la renforcer en direction du vivant.

Quand la bienveillance n'est pas/plus là

Pour en revenir aux risques d'une empathie exclusive/sélective et ce qu'elle réserve à qui n'est pas dans le cercle fermé des sujets de l'empathie, je vous propose de les distinguer via ma modélisation d'échelle de la bienveillance :


Le déficit d'empathie, ce qui est exclu de notre cercle d'empathie, risque de nous faire tomber dans l'absence de bienveillance (indifférence, ignorance) ou/et dans la malveillance (s'autoriser à faire du mal sous prétexte que la personne/l'animal/l'espèce vivante serait partie négligeable, nuisible, ...). 

Il me semble important non seulement de distinguer ces deux risques, ces deux types de comportement, mais aussi de comprendre qu'il y a des situations où l'absence de bienveillance a de pires impacts que la malveillance. Pourquoi l'absence de bienveillance peut-elle être pire ? Parce qu'un être vivant (ou une population) peut essayer de se mobiliser pour se défendre face à une agression, à mettre en place une dissuasion qui freine voire empêche l'agression. Et ce n'est pas le cas face à de l'indifférence, et notamment envers des êtres vivants qui ont besoin d'interactions. Des situations où peut se faire ressentir le sentiment de ne pas exister, de ne pas compter, individuellement ou collectivement. 

Ne pas se perdre dans l'empathie

Le proverbe tibétain "Fais-toi du bien sans faire de mal aux autres et fais du bien aux autres sans te faire du mal" dans sa deuxième partie m'a rappelé les articles que j'ai écrits sur une bienveillance équilibrée qui ne se fait pas dans l'oubli de soi-même. Un oubli que l'on voit fréquemment dans le milieu associatif à travers le surengagement de certains bénévoles. Sujet que j'ai évoqué notamment dans les deux articles :
Cet équilibre est visé dans ma modélisation de la bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables :


Il nous faut activer notre empathie et notre bienveillance à la fois pour nous-mêmes (nos aspirations - Moi Je -, notre hygiène de vie - Vous en Moi -), pour autrui (relation interpersonnelle, inter-individus humains et autres qu'humains - Toi et Moi), pour nos écosystèmes d'appartenance (Moi dans des Nous), en explorant toutes les strates de notre société, du plus petit (le couple) au plus vaste (le monde du vivant).

Réciprocité et équilibre dans l'empathie

Ne pas se perdre dans l'empathie n'est pas de notre seule responsabilité individuelle. C'est ce que j'ai évoqué dans mon article Un "prends soin de toi !" qui passe mal.

J'y ai développé l'idée d'une équation de l'équilibre des responsabilités de bienveillance :


Cette réciprocité mérite de ne pas être envisagée dans une dimension comptable, stricte ou donnant-donnant. Il s'agit quand cela est possible d'inviter le sujet de notre empathie à nous prendre aussi en considération pour nous aider à ne pas nous perdre dans l'empathie car il y a le risque que nous pâtissions lui/elle et nous d'un surengagement de notre part. Autrement dit, il s'agit de considérer un enjeu gagnant-gagnant Vs un enjeu donneur-receveur qui finirait par devenir perdant-perdant. C'est aussi une perche à lui tendre pour l'aider à cultiver sa propre empathie et à se faire du bien lui/elle-même par l'empathie qu'il/elle active.

Cette équation mettant en jeu la réciprocité est implicite dans le réseau interconnecté de différents entités (individu ou collectif/communauté) à travers les 4 dimensions présentées précédemment (la réciprocité étant représentée dans les liens 5 et 6):





L'exemple est ici donné en termes de bienveillance réciproque et mutuelle pour ce qui concerne la vie professionnelle.


Empathie et enjeux d'unification

Sébastien Bohler traite longuement et pertinemment (compte tenu du processus dramatique en cours en termes de réchauffement climatique et de destruction de la biodiversité) du rapport de l'humain avec la nature.

Avant la lecture de Human & Psycho, je voyais un enjeu de double unification pour l'être humain, présenté schématiquement et formalisé ci-dessous :




Je ressors de la lecture de son livre avec un troisième enjeu d'unification : celle de l'humanité - en tant qu'ensemble - avec le vivant, qui va au-delà du rapport de chaque individu avec le vivant. Et sa grille d'analyse à travers les 4 caractéristiques de la psychopathie me semble intéressante à utiliser, dans une logique d'unification :

  • les êtres humains individuellement et collectivement (à toutes les strates de la société) ne sont pas au-dessus des autres espèces ; et s'ils pouvaient l'être selon un ou quelques critères bien isolés, alors ils devraient plutôt considérer qu'ils ont une responsabilité plus grande que les autres espèces pour préserver la planète et l'univers (en lien avec le 4ème point) ;
  • ils doivent considérer autrui, humains et autres qu'humains comme des sujets et non comme des objets, des choses ; ile doivent agir dans la bientraitance et dès lors que c'est possible le faire dans la coopération ; 
  • ils doivent leur prêter attention avec bienveillance et essayer de comprendre leur situation, leur état de santé, leurs enjeux, leur avenir, leurs attentes ;
  • ils doivent s'intéresser et prendre en compte des potentielles conséquences à court, moyen et long terme et se fixer comme ligne directrice : la préservation et la réparation des écosystèmes. Une responsabilité vue comme un devoir, un engagement, un élan de justice, de bienveillance, de solidarité.

Empathie et bienveillance, c'est indéniablement exigeant

Je me désole depuis un moment chaque fois que j'entends des personnes assimilant la bienveillance à la  complaisance, à la tendance à vouloir faire plaisir à tout prix et/ou à ne pas parler de choses qui pourraient fâcher.

Selon moi, la bienveillance et l'empathie est indéniablement exigeante. Pourquoi ? Parce que ...

  • activer la bienveillance sur les 4 dimensions (Moi Je, Toi et Moi, Vous en Moi, et Moi dans des Nous) n'est pas facile et n'est pas forcément bien vu, d'autant plus quand il s'agit de se revenir à un engagement équilibré (en cas de surengagement) pour se préserver ;
  • élargir son cercle d'empathie est un processus qui fait bouger les lignes de son rapport à autrui, humains et autres qu'humains et peut avoir des conséquences par exemple sur son alimentation, avec un entourage qui peut être bloquant ou non facilitant ;
  • je ne vois pas comment un tel élargissement pourrait ne pas conduire à une sobriété et notamment en terme de consommation ; même si je suis absolument convaincu de l'effet "sobriété heureuse" (pour celles et ceux qui ne sont pas déjà dans une sobriété forcée de pauvreté), nous sommes dans une société poussant aux comportements addictifs de consommation, et il faut de la détermination pour en sortir ;
  • comme je suis convaincu de l'importance de la réciprocité, il faut savoir inviter, demander, voire exiger la réciprocité dans le cadre de l'équation de l'équilibre de responsabilité de bienveillance ;
  • on peut se sentir impuissant tout seul, ou au niveau de son foyer face aux enjeux vitaux et à l'état très préoccupant de la planète et des écosystèmes. Il faut beaucoup de détermination pour faire sa part, alors qu'éventuellement le voisinage y est insensible voire réfractaire, pour chercher d'autres personnes, collectifs avec qui faire ce que l'on ne peut pas faire tout seul dans son coin.
Et une bienveillance à la juste hauteur est tellement exigeante  que c'est probablement aussi une des raisons du fort niveau d'inaction face à des enjeux que nous devrions considérer individuellement et collectivement comme vitaux.

Pour d'autres considérations sur l'empathie, je renvoie à ma série d'articles sur autourdelabienveillance.fr - Tirons des fils de l'empathie en lien avec la bienveillance - en 3 parties : partie 1, partie 2, partie 3.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Article épinglé

Problème DE bienveillance et AVEC la bienveillance

  Voici un bref constat en deux points sur ce qui ne va pas selon moi avec la bienveillance actuellement dans notre société. Avant d'en ...

Articles les plus consultés