On dit parfois que l’homme est un loup pour l’homme - et, soyons honnêtes, encore plus pour la femme. Pourtant, si on regarde autour de nous, on voit aussi et heureusement une autre réalité, et ce depuis la nuit des temps :
- Un bébé qui pleure au milieu d'adultes, et déjà plusieurs têtes se tournent, prêtes à aider.
- Une catastrophe naturelle, et des inconnus coopèrent spontanément pour secourir les blessés.
- Un rire éclate dans lieu, et bientôt, tout le monde rit sans même savoir pourquoi.
Ces réflexes n’ont rien d’anecdotique. Ils sont gravés dans notre corps et dans notre cerveau : l’humain est câblé pour se relier, ressentir et prendre soin. C'est ce que je veux démontrer ici en évoquant notamment des mécanismes biologiques, neurophysiologiques et comportementaux, ainsi que des éléments anthropologiques.
Le corps qui s’apaise dans la relation
Imaginez un nourrisson posé dans les bras d’un parent. Le battement régulier du cœur, le ton de la voix, le regard doux… en quelques secondes, le bébé cesse de pleurer. Ce phénomène est expliqué par la théorie polyvagale, développée par le Dr Stephen Porges.
Notre Système Nerveux Autonome (SNA) régule notre capacité à nous sentir en sécurité et à interagir socialement. Trois voies neurales influencent nos réactions face aux signaux de sécurité et de danger évalués par notre cerveau (neuroception) :
- Le nerf vague ventral (connexion): C'est la voie la plus récente et le plus sophistiquée dans l'histoire des espèces (- 200 millions d'années). Il est activé par des sensations de sécurité et permet l'engagement social. Il active directement la connexion, l'empathie la sociabilité. Un véritable chef d'orchestre de la bienveillance.
- Le système sympathique (mobilisation) : Une voie qui remonte à 400 millions d'années. Elle prépare le corps à la fuite ou au combat en cas de danger perçu.
- Le nerf vague dorsal (immobilisation) : C'est la voie la plus ancienne (- 500 millions d'années dans l'histoire des espèces). En cas de menace extrême, elle déclenche des réactions d'immobilisation ou de figement (par exemple, l'évanouissement).
Le bon fonctionnement du nerf vague ventral est crucial pour la sociabilité. Il nous permet de percevoir les autres comme des alliés et non comme des menaces, ce qui est fondamental pour l'empathie et la coopération.
En revanche, les états de survie/protection (mode sympathique ou vague dorsal) nous coupent de cette capacité relationnelle, au même titre qu'ils déconnectent de la rationalité (cortex préfrontal). En étant trivial : "On peut devenir vraiment pas sympa et en plus, on a tendance à faire n'importe quoi !"
Nous sommes donc biologiquement faits pour être régulés par la présence d'autrui et réciproquement pour le réguler, dès lors que nous nous retrouvons inconsciemment ou par régulation dans un contexte de sécurité (y compris pour ce qui concerne la santé de nos organes).
Le cerveau qui résonne avec autrui
Dans les années 1990, des chercheurs italiens découvrent les neurones miroirs situés dans le cortex cérébral.
En observant par hasard un singe en train de regarder un humain attraper une cacahuète, ils remarquent que certains neurones s’activent… exactement comme si le singe avait fait le geste lui-même.
Chez l’humain, c’est pareil : lorsque nous voyons quelqu’un grimacer de douleur, notre cerveau “résonne” et nous fait ressentir un écho de cette souffrance. Ce mécanisme est à la base de l’empathie qui crée donc de la résonnance émotionnelle. Il facilite également la compréhension intuitive des intentions et émotions d'autrui.
Les neurones miroirs sont ainsi des cellules nerveuses qui s'activent de la même façon :
- lorsque nous effectuons une action,
- et lorsque nous observons une autre personne faire cette même action.
C’est pourquoi il est si difficile de rester de marbre devant les larmes d’un proche : notre cerveau nous pousse littéralement à partager son ressenti, aussi automatiquement que bailler à la suite de quelqu'un en face de soi qui ouvre potentiellement et non intentionnellement une ronde des bâillements.
La chimie invisible en feux d'artifices de la bienveillance
Quand nous posons un geste tendre, quand nous offrons notre aide ou partageons un éclat de rire, notre cerveau libère un véritable cocktail chimique de neurotransmetteurs et d'hormones :
- L’ocytocine, surnommée “hormone du lien” ou "hormone de l'amour", renforce la confiance et la tendresse.
- La dopamine et les endorphines procurent une récompense interne : ce fameux , le plaisir intense d’avoir aidé, appelé "helper’s high" par les anglosaxons.
- La sérotonine stabilise notre humeur. Elle nourrit également notre sentiment d’appartenance et d'estime de soi.
Résultat : la bienveillance justement délivrée fait du bien à celui qui reçoit, mais aussi à celui qui la pratique et la donne. Une chimie qui fait jouer la bienveillance dans les interactions et les rend gagnant-gagnant.
Des structures cérébrales en jeu
L'hypothalamus est en quelque sorte le chef d'orchestre du SNA. Il reçoit des informations de partout. En se basant sur les informations qu'il a reçues, l'hypothalamus décide des actions à entreprendre. Faut-il activer un des 3 états polyvagaux, voire une combinaison de 2 ou 3 de ces états (notion d'état mixte) ? Il est le maître des réactions du corps.
L'amygdale est une structure cérébrale impliquée dans le traitement des émotions, notamment la peur et l'anxiété. Elle est essentielle pour détecter les signaux de danger chez les autres, mais aussi pour décoder leurs expressions émotionnelles. L'amygdale nous aide à réagir de manière appropriée, par exemple en évitant une personne qui semble agressive, pour une bienveillance à soi-même.
Le cortex préfrontal est la partie la plus avancée du cerveau, responsable des fonctions exécutives comme la prise de décision, le contrôle des impulsions et le raisonnement. Dans le contexte de l'empathie, le cortex préfrontal module les réponses de l'amygdale. Il nous permet de comprendre les émotions des autres sans être submergés par elles, et de choisir une réponse appropriée (par exemple, de la compassion plutôt qu'une réaction de fuite).
La théorie de l'attachement
L’entraide comme stratégie de survie
Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs le savaient intuitivement : aucun humain n’aurait survécu seul dans la savane. La chasse exigeait la coopération, la défense du clan demandait la solidarité, et l’éducation des enfants était collective.
Les anthropologues parlent même d’alloparentalité : d’autres adultes que les parents prenaient soin des petits. C’est ce qui a permis à l’espèce humaine de prospérer.
Ainsi, la bienveillance est le contraire d'une faiblesse comme certains le pensent et/ou le disent, mais une force évolutive. Les groupes les plus solidaires avaient plus de chances de traverser les épreuves, et cela est resté vrai tout au long de l'histoire de l'humanité.
La joie d’être ensemble
Toutes les cultures humaines ont inventé des rituels collectifs : danser autour du feu, chanter à l’unisson, partager un repas. Ces pratiques déclenchent la libération d’endorphines et renforcent la cohésion du groupe. Certains activent le nerf vague ventral.
Aujourd’hui encore, des études longitudinales – comme l’étude de Harvard sur le bonheur et la contagion du bonheur – montrent que le facteur n°1 de santé et de longévité n’est ni l’argent ni le succès, mais la qualité des relations bienveillantes que nous entretenons, et notamment avec les proches.
En conclusion
Tout converge : notre système nerveux, notre cerveau, nos hormones, notre histoire évolutive… Tout indique que l’humain est câblé pour la sociabilité, l’empathie et la bienveillance.
La bienveillance n'est pas une simple vertu morale, et ne relève pas non plus uniquement de l'éthique de vie. C'est une stratégie de survie codée dans notre cerveau et notre système biologique. Notre corps et notre esprit sont conçus pour récompenser l'entraide, faire de la coopération une expérience agréable et nous pousser à agir de manière compatissante, contredisant ainsi l'idée que nous sommes uniquement motivés par l'égoïsme.
La fameuse “loi de la jungle” comme loi universelle peut être vue selon moi comme une anomalie, le résultat d'une dérégulation de notre système nerveux autonome qui stationne dans des états de menaces perçues en permanence, nous poussant au repli sur soi et à l'autoprotection. Ce qui constitue un frein puissant à la bienveillance et offre une voie légitimée à la malveillance selon le principe bien connu "La fin justifie les moyens".
L’être humain est biologiquement, émotionnellement et culturellement structuré pour la connexion à autrui. Même si des contextes de stress ou de dérégulation peuvent inhiber ces capacités, elles restent présentes en nous, prêtes à se réactiver dès que les conditions de sécurité sont réunies.
La véritable loi humaine est celle du lien : rire ensemble, se protéger, se soutenir. C’est ainsi que nous avons survécu, et c’est ainsi que nous continuons à nous épanouir et que nous pouvons fonder une Société et des Territoires de la Bienveillance.

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