vendredi 17 novembre 2023

Rapport de la CIIVISE sur les violences sexuelles faites aux enfants

 


Ce vendredi 17 novembre 2023, la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (dite CIIVISE) publie un rapport de 756 pages et une synthèse de 36 pages avant d'organiser lundi prochain 20 novembre 2023 une réunion de restitution à la Maison de la Radio (cf image ci-dessous extraite de leur site internet).



A noter qu'il est possible d'y participer par visio-conférence (suivre le lien précédent). 

Un état des lieux

Un état des lieux qui fait froid dans le dos et dont je restitue quelques éléments dans les items suivants :

  • 160 000 enfants sont touchés par des violences sexuelles par an.
  • Environ 10% de la population a été victime de violences sexuelles dans son enfance (14,5% des femmes et 6,4% des hommes). 
  • Les victimes sont en grande majorité des femmes. 83% des personnes qui se sont confiées à la CIIVISE sont des femmes.
  • Les violences sexuelles commencent très tôt : en moyenne vers 8 ans et demi
  • Elles sont répétées pendant plusieurs années
  • Le violeur n'est pas à chercher en premier lieu à l'extérieur : le "vilain monsieur qui offre des bonbons" représente 8% des cas et dans le cadre institutionnel 11% (la pédophilie dans l'église catholique 1/4 de ces cas). Et donc dans une très grande majorité (83% des cas), les violences sexuelles sont incestueuses. Le cas le plus fréquent : violences commises par le père (27% des cas).
Voici en deux images des chiffres que j'ai mis sous forme de graphiques :





Quelques mots de ma composition pour résumer les grands enseignements de l'état des lieux, en dressant un portrait type de victime de violences sexuelles dans l'enfance :
  • Je suis plutôt une fille
  • Je suis victime d’inceste depuis l'âge de 8 ans et demi (plutôt que de violence d'une personne en dehors de ma famille)
  • A/ Je vais me taire, subir ces faits insupportables de manière répétée et je vais subir presque certainement des conséquences psychiques et physiques …
  • … avec des conséquences négatives sur ma vie affective et sexuelle
  • … et un risque accru de conduites à risques et de subir des violences conjugales plus tard
  • B/ Si je voulais déposer plainte au-delà de 20 ans après les faits, je me heurterais au couperet de la prescription de 20 ans
  • C/ Si je ne me tais pas au moment des faits, je vais avant tout me confier à ma mère …
  • … qui aura plutôt tendance à me croire
  • … mais à 45%, on ne va pas agir pour me protéger, y compris si je me suis adressé à un professionnel.
  • C.1/ Une plainte ne sera plutôt pas déposée
  • C.2/ Et si une plainte est déposée, il y a 1 chance sur 10 qu’elle aboutisse en condamnation, en moyenne 4 ans de prison contre l'agresseur s'il s'agissait d'un viol et 3 ans de prison pour une  agression (mais il est fort possible dans ce cas qu'il obtienne une condamnation avec sursis)
  • Et mon sentiment sur la procédure pénale sera plutôt négatif

Des préconisations

La CIIVISE a travaillé sur 82 préconisations autour de 4 axes, dont 10 préconisations-clé qui sont listées ci-dessous en items des 4 axes :

1/ Le repérage des enfants victimes
  • Organiser le repérage par le questionnement systématique des violences sexuelles
  • Généraliser le repérage des violences sexuelles dans les situations de vulnérabilité spécifiques
  • Créer un RDV individuel annuel de dépistage et de prévention centré sur l’évaluation du bien-être de l’enfant
2/ Le traitement judiciaire
  • Déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis contre les enfants
  • Créer une Ordonnance de Sûreté de l’Enfant (OSE) permettant au juge des affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste vraisemblable
  • Ajouter le cousin dans la définition des viols et agressions sexuelles qualifiés d’incestueux
3/ La réparation incluant le soin
  • Garantir des soins spécialisés du psychotraumatisme aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance en mettant en œuvre le parcours de soin modélisé par la CIIVISE
  • Garantir une réparation indemnitaire prenant réellement en compte la gravité du préjudice et les préjudices spécifiques
4/ La prévention des violences sexuelles
  • Renforcer le contrôle des antécédents avec le FIJAISV
  • Maintenir la CIIVISE
A noter que la CIISE a été installée par Emmanuel Macron en mars 2021 pour deux ans, puis prolongée le 8 décembre 2022 jusqu'au 31 décembre 2023.

Un enjeu important inscrit en dernière préconisation-clé est que cette commission puisse perdurer au-delà du 31 décembre 2023. Pour reprendre les mots de la synthèse :

Cela ne peut pas être refermé. La CIIVISE ne peut pas « éteindre la lumière ».

 

Pourquoi évoquer ce rapport sur autourdelabienveillance.fr ?

Outre le fait que le sujet touche particulièrement ma sensibilité, je le mentionne pour deux raisons :
  • le besoin affirmé par la CIIVISE que l'existence du rapport soit largement relayée dans le grand public et une forme d'appel à la survie (ou pérennisation) de cette commission ; en cela, c'est une modeste contribution de ma part : je partage en mettant mon grain de sel
  • cela me donne l'occasion de plaquer ma modélisation de l'échelle de la bienveillance et celle des 3 dimensions de bienveillance sur cet enjeu
Et j'enchaîne directement sur l'échelle de la bienveillance dont je redonne un schéma ci-dessous :



L'agression sexuelle d'un enfant est bien entendu un acte de malveillance le plus à l'extrême gauche de cette échelle. Le mot "trahison" est utilisé dans le rapport pour indiquer le niveau de malveillance dans le cas d'inceste par un parent. C'est aussi le cas pour toutes les personnes en dehors de la famille portant une autorité et une responsabilité de bienveillance qui profitent de leur statut pour abuser sexuellement de l'enfant (c'est notamment le cas pour les prêtres pédophiles).

Dans le segment "Malveillance" figurent également les non-réactions des personnes à qui se confient un enfant agressé sexuellement. Il y a évidemment un spectre assez large entre les personnes qui ne veulent pas entendre et/voir, celles qui ne veulent pas croire, celles qui croient mais qui n'osent pas agir, celles qui demandent à l'enfant de se taire (27% des cas où l'enfant se confie à un proche), celles qui culpabilisent l'enfant (22% des cas), ...

Ne pas protéger un enfant qui s'est confié de son traumatisme relève de la non-assistance à personne en danger dans ma vision des choses. Une protection qui doit être co-construite avec différentes parties prenantes en ne restant surtout pas isolé. Si un enfant sort de son isolement et qu'on le replonge dans une autre forme d'isolement, il est très probable qu'on ajoute un traumatisme supplémentaire.

Je précise qu'il s'agit bien de malveillance et non pas d'absence de bienveillance qui elle ne concerne que le non-signalement de comportements malveillants mineurs.

J'en viens aux trois dimensions indissociables de la bienveillance :



La dimension N°2 "Ne pas faire de mal" est celle que l'on doit opposer à l'agresseur et à l'agression.

La dimension N°3 met en évidence qu'il y a un devoir de bienveillance qui passe par le signalement, la dénonciation, l'affrontement de la situation si on est témoin/confident direct ou indirect pour de tels faits.

Pour en revenir à l'échelle de la bienveillance : il n'y a pas de position neutre : face à une telle situation de violence, soit on prend le taureau par les cornes, dans la bienveillance sans être paralysé par les éventuelles conséquences, soit on ne fait rien et auquel cas, cela relève de la malveillance, de la faute coupable.

Il faut bien considérer que trop souvent il y a une faute coupable de non-protection à plusieurs échelles : individuel familial, individuel professionnel, policière, judiciaire, sociétal et un déficit de coordination entre les différentes parties prenantes.

Il est temps que l'interdiction des actes sexuels entre adultes et enfants soit vraiment considérée comme une ligne écarlate affirmée, réaffirmée, surveillée, sanctionnée lourdement et dont les dépassements seraient imprescriptibles. Et évidemment que les victimes soient écoutées, protégées, bichonnées.

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