samedi 16 décembre 2023

Le juge Durand : rétablir la bienveillance et l'idée de bienveillance

Le présent article est consacré au juge Edouard Durand, co-président de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants). Commission qui vient d'être prolongée par le gouvernement au-delà du 31 décembre 2023 MAIS en évinçant le juge Edouard Durand, d'une manière que j'essaierai de qualifier dans la fin de cet article.

J'ai découvert le juge Durand - que je ne connais pas personnellement - à l'occasion de la publication du rapport de la CIIVISE le 17 novembre dernier. En consultant l'actualité autour de cette publication, j'ai relevé à plusieurs reprises le qualificatif "bienveillant" à son sujet. Etant donné mon implication sur l'enjeu de la Bienveillance dans notre société, cela a suscité mon intérêt et j'ai commencé à chercher des vidéos pour voir et écouter ses propos. Et j'ai très vite compris en quoi ce qualificatif me semblait tout à fait pertinent et très en lien avec la vision de la bienveillance que je promeus.

J'inclus ci-dessous deux vidéos : celle de l'audition de la CIIVISE devant la commission des lois de l'Assemblée Nationale le 19 juillet 2023 et celle devant la délégation aux Droits des Femmes au Sénat le 9 novembre 2023. Deux auditions où la CIIVISE était représentée par le juge Durand.

Les deux vidéos : 



Des chiffres pour planter le décor

Je rappelle quelques chiffres, oh combien révélateurs, qui résultent des travaux de la CIIVISE et qui sont évoqués par le juge Durand :

  • Une estimation de 160 000 enfants sont touchés par des violences sexuelles par an.
  • Environ 10% de la population adulte a été victime de violences sexuelles dans son enfance (14,5% des femmes et 6,4% des hommes), à savoir 5,5 millions de femmes et d'hommes.
  • Dans 60% des cas où un enfant exprime à un professionnel qu'il a subi des violences, le professionnel ne fait rien. En notant que chaque fois qu'un enfant signale et qu'il n'est pas entendu, qu'on lui dit qu'il ment, alors il subit un second anéantissement qui s'ajoute à celui des violences sexuelles.
  • 73% des plaintes sont classées sans suite.
  • Seules 3% des plaintes donnent lieu à la condamnation des agresseurs.
  • Seulement 1 000 condamnations par an.
  • 30 000 témoignages recueillis par la CIIVISE. "C'est un mouvement social. C'est un problème d'ordre public, de santé publique, de politique publique".

Autre chiffre pour essayer de faire bouger les choses en tendant une perche économique, si l'argument éthique n'était pas suffisant : le coût annuel estimé de ces actes de violenceà la fois "coût du déni" et "coût d'impunité des agresseurs" : 9,7 milliards d'euros, dont 60% représentent les conséquences à long terme des violences sexuelles subies dans l'enfance. Impacts en terme de santé, de vie sociale, sur l'insertion professionnelle ("Qui aurais-je été si je n'avais pas été violé(e) ?").

Je vais prendre maintenant quelques extraits de ces deux auditions, en prenant une partie des thèmes qu'il a abordé. Je ne le fais pas de manière exhaustive car il y a une telle richesse dans ses interventions qu'il me faudrait plus d'un article pour en faire le tour.

Un constat glaçant au-delà des chiffres

Le juge Durand cite les propos de l'anthropologue Dorothée Dussy pour résumer la situation actuelle concernant la prise en compte des violences sexuelles envers les enfants par notre société : "Le système social a pour fonction de transformer un crime en non crime". Il exprime aussi les choses sans complaisance pour notre société : "Des enfants sont violés sous nos yeux aveugles".

Il y a incontestablement déni. Mais comment définir le déni ? Voici comment le juge Durand en parle de manière plurielle : "Ca n'existe pas, ça n'est pas vrai, ça n'est pas grave, ça ne nous regarde pas, ça n'a pas de conséquences, ce n'est pas si grave." Comme quoi, quand on parle du "déni", on prend conscience qu'il peut prendre des formes différentes, et notamment à travers une banalisation, une sous-évaluation, une sous-considération.

"Pourquoi y-a-t-il autant de classements sans suite, pourquoi y-a-t-il aussi peu de condamnations ? Pourquoi est-ce que la société transforme un crime en un non crime ? Parce qu'elle hésite à interdire ou à tolérer le viol des enfants. C'est aussi simple que ça."

Il parle aussi d'un phénomène d'inversion des culpabilités, autrement dit, la société marche sur la tête : "Nous avons des mécanismes d'inversion des culpabilités, de protection et d'invisibilisation des violences sexuelles faites aux enfants". 

Il rapporte par exemple que des mères sont condamnées et incarcérées pour avoir refusé le droit de garde au père suite au signalement par l'enfant à la mère de violences sexuelles commises par le père.

Il a reçu à la fois des appels de pédopsychiatres et de parents, en pleurs, qui se trouvent impuissants pour protéger des enfants victimes de violences sexuelles

Il déroule de manière très éclairante et convaincante la mécanique infernale de renversement de culpabilité : "On dit à ces enfants quand ils sont au commissariat ou à l'hôpital ou au tribunal : "qui est-ce qui t'a dit de dire ça ?" Que dit l'enfant ? << C'est maman ! >>. Replacez-vous dans votre enfance, parce que vous l'avez été comme moi. Quand un enfant a mal, à qui il le dit : à sa mère ! Et quand l'enfant a mal parce qu'il a été victime de viol, la mère dit << il faut que j'aille au commissariat. C'est quoi un commissariat ? Là où il y a des policiers qui protègent les enfants. Tu vas devoir leur dire. Alors, [au commissariat], on dit à l'enfant :<< Mais qui t'a dit de le dire ? >>. Il répond << C'est maman >>. Et nous on dit, c'est sa mère qui lui a dit de le dire. Donc c'est que l'enfant ment."

A la date de l'audition à l'Assemblée Nationale, 2, 3 préconisations sur 20 ont été mises en œuvre. 82 préconisations ont été publiées finalement le 17 novembre 2023 (cf mon article Rapport de la CIIVISE sur les violences sexuelles faites aux enfants).

La CIIVISE comme espace de reconnaissance

Face à cela, le juge Durand qualifie la CIIVISE comme un espace de reconnaissance qui mérite/nécessite d'être maintenu, et c'est l'avis des députés de la commission qui se sont exprimés.

La doctrine de la CIIVISE est : "On vous croit et vous ne serez plus jamais seuls", propos initialement tenus par le Président Emmanuel Macron pour le lancement de la commission.  

Le rôle, la doctrine de la CIIVISE s'adresse aux enfants victimes aujourd'hui et aux adultes qui ont été victimes dans leur enfance : 

  • aux enfants : "Je te crois, je te protège, tu ne sera plus jamais seul". 
  • aux adultes : "Nous vous croyons, nous aurions dû vous protéger
Comme il y a et il reste beaucoup de choses à faire bouger, le constat malheureusement à ce jour est que la société dit "Quand tu auras 50 ans, tu iras à la CIIVISE. On te dira qu'on aurait dû te protéger". Ce qui est déjà une avancée certes, mais bien sûr tellement pas en réponse aux violences subies maintenant.

Alors "Il y a urgence, car les souffrances générées par les viols et les violences sexuelles ne disparaissent pas au bout de quelques mois, ou quelques années ; elles durent toute la vie. Ce que j'appelle le présent perpétuel de la souffrance." Phénomène d'autant plus aggravé que les personnes se heurtent "au mur de la prescription". Rappelons que les crimes sexuels bénéficient d'une prescription de 20 ans à compter de la date des faits Par exemple, un adulte ayant violé un enfant de 12 ans dans son entourage familial de 12 ans, ne pourra plus être poursuivi dès lors que l'enfant devenu adulte aura 32 ans. 

Il y a la nécessité d'instaurer une législation plus impérative dès lors qu'un acte de violence sexuelle est dénoncé, et 3 préconisations ont été faites par la CIIVISE à ce sujet :

  1. "Suspendre les poursuites pénales pour non présentation d'enfants quand une enquête est en cours pour inceste.
  2. Suspendre de plein droit par l'effet de la loi l'exercice de l'autorité parentale et du droit de visite du parent faisant l'objet de poursuite pénale pour inceste. Il faut protéger l'enfant sans attendre. Aucun principe n'est contraire à la raison humaine et les principes fondamentaux du droit n'ont pas été conçus pour générer l'impunité des agresseurs.
  3. "Le retrait systématique de l'autorité parentale en cas de condamnation du parent pour inceste. Ce n'est pas une peine [idée sous-jacente de double peine], c'est la conséquence civile d'une décision pénale"

Et puis la CIIVISE préconise un parcours de soin spécialisé, avec une formation de l'ensemble des acteurs amenés à prendre en charge les victimes. Faute de quoi, des propos maladroits peuvent être utilisés par certains, des positions faussement de neutralité ou d'attentisme renforçant le sentiment de culpabilité des victimes instillés par les agresseurs et leur désespoir.

"Dans l'idéal, il faut dispenser les soins dans l'année qui suit le fait traumatique. Seulement, on ne peut pas soigner l'agneau quand il est encore dans la gueule du loup. Il faut donc le mettre en sécurité immédiatement". Ce qui pose la question des priorités, de la hiérarchisation des enjeux et j'y reviendrais dans la prochaine section. Ici : on met en sécurité avant de soigner. Ce qui devrait paraître comme une évidence n'est malheureusement par la réalité vécue par les enfants victimes selon l'analyse de la CIIVISE.

Il lui est posé la question : qu'est-ce qui a changé au niveau de notre société depuis le lancement de la commission.

Il répond "Ce qui a changé, c'est une prise de conscience d'un problème général et une désapprobation de principe ... Ce qui n'a pas changé, c'est ce qui se passe pour chaque enfant victime et pour chaque adulte qui a été un enfant victime." 

Dans une audition au sénat, il l'exprime de la manière suivante "L'idée s'effrite devant chaque enfant réel".

Autrement dit, la société se comporte avec compassion par rapport à un phénomène mais concrètement les choses n'ont pas vraiment changé pour la prise en charge des victimes. Il est urgent de passer à une dynamique impérative de protection.

La première préconisation est rentrée dans la procédure du code pénal par un décret du 23/11/2021. Le juge Durand met un sérieux bémol : il voudrait être sûr que ce décret est appliqué. Il exprime la crainte d'une injonction paradoxale : si un parent témoin ne protège pas son enfant victime de violence sexuelle, il peut être poursuivi pour complicité, et s'il veut révéler la violence, il peut être suspecté de manipulation. "Le législateur doit choisir son camp ... quand on ne sait pas, on doit choisir de protéger l'un ou l'autre, et autant protéger l'enfant".

La bonne hiérarchisation des besoins et des principes

Pour la 2ème préconisation, selon lui, le parlement a réduit le périmètre d'une loi proposée par Isabelle Santiago, députée. Sur cette question il n'hésite pas à exprimer clairement devant la commission sa déception et sa colère. "La législation impérative, c'est ne pas soumettre la protection à l'aléa des représentations subjectives de la multiplicité des professionnels qui interviennent auprès des enfants violés. La plupart d'entre eux pensent que le besoin fondamental d'un enfant, c'est d'être avec ses deux parents. Alors que le besoin fondamental de tout enfant est le besoin de sécurité ... je suis en attente de dispositions extrêmement claires". 

Cela m'a renvoyé à la pyramide le Maslow et l'idée qu'il faut que toutes les parties prenantes soient en conscience de hiérarchiser les besoins, les exigences. Je rejoins complètement le juge Durand : la motivation de conserver un enfant avec ses deux parents ne devrait passer qu'après l'exigence qu'il soit en sécurité. D'ailleurs, j'imagine qu'avec beaucoup de bon sens, il s'agirait de ne pas opposer ses deux besoins en priorisant le lien familial car un parent qui abuse de son enfant ne répond plus bien évidemment au besoin d'amour. Violer l'intimité d'un enfant est un acte d'anti-amour.



Il poursuit l'idée de la priorité du besoin de sécurité de la manière suivante : "Moi, j'ai compris comme juge des enfants, en m'intéressant aux violences conjugales et à l'inceste, que la plus grande inégalité entre les êtres humains est celle qui sépare les personnes qui vivent dans une maison qui est un lieu de sécurité et les personnes qui vivent dans une maison qui est un lieu de danger et de confrontation à la mort. Vous pouvez me dire tout ce que vous voulez, ce soir je vais rentrer chez moi et je serai en sécurité. Pas tout le monde. Et on ne peut pas grandir dans une maison qui est un lieu de danger. Il en va de la société que nous voulons construire".

Et pour ce faire, il faut déjà protéger les enfants victimes et les parents protecteurs : "Il faut que l'enfant qui révèle des violences et son parent protecteur aient la garantie inconditionnelle de la protection. Il faut protéger le parent protecteur qui protègera l'enfant victime".

A l'occasion de ma recherche d'informations autour de l'éviction du juge Durand, j'ai découvert le terme SAP : Syndrome d'Aliénation Mentale. Je cite un extrait de wikipédia : "Le fait qu'un parent manipule son enfant de manière que l'enfant développe une vision négative de l'autre parent, voire que l'enfant se mette à refuser de voir l'autre parent.". On voit bien là tout l'enjeu de poser la bonne doctrine en première intention : est-ce celle de protéger les enfants  ou celle d'éviter que des parents manipulent leurs enfants ? 

Quand un enfant signale des violences sexuelles dont il a été victime, 
  • faut-il d'abord le croire et l'écouter en première intention, 
  • ou faut-il le soupçonner d'être manipulé par sa mère (puisque dans la plupart des cas, le violeur est un homme, et statistiquement en première position, le père ?)
A cette question, la CIIVISE dont ses deux co-présidents ont clairement fixé "on te croit, on va te protéger". Et d'après les informations que je vois circuler sur Internet, la position de la future co-présidente serait plutôt la recherche en première intention d'une manipulation. On voit bien que la première doctrine est centrée sur l'enfant, l'écoute et la protection. La deuxième est centrée sur l'adulte, la peur du mensonge, l'enfant étant considéré comme un acteur secondaire objet de manipulation.

Le juge Durand enchaîne sur un télescopage de principes qui ne se font pas au bénéfice de la victime "Nous interposons toujours des principes entre l'enfant et la protection, entre l'agresseur et la loi : le principe de la présomption d'innocence, nous ne cessons de lui faire des bras d'honneur. Elle a un périmètre extrêmement circonscrit qui est la procédure pénale. Point. Le principe de la charge de la preuve et du contradictoire, il en va de même. Au nom du principe du contradictoire, on organise des confrontations entre l'agresseur et la victime. De sorte que nous ne respectons pas le principe du contradictoire parce que nous empêchons la victime de s'exprimer si elle est en présence de son agresseur. Il faut savoir les droits de qui nous voulons protéger."

Donc comme pour les besoins amour-sécurité, non seulement notre société s'appuie sur une mauvaise hiérarchisation, mais en plus, en mettant en avant un principe non prioritaire qu'on ne respecte en réalité même pas. C'est le cas ici mentionné : on invoque le principe du contradictoire qui sera biaisé par le pouvoir d'empêchement de la parole de l'enfant par l'adulte agresseur du fait éventuellement de sa seule présence, de son regard. Autrement dit, on veut donner la parole aux deux parties et les confronter, alors qu'une partie s'est vu la parole interdite par l'autre et se trouvera sous l'emprise de son agresseur, qui de plus n'est pas un inconnu et avec lequel la victime a un lien affectif et une ambivalence à devoir gérer (je t'aime, je ne veux pas te faire du mal, tu me fais du mal, tout en disant que tu m'aimes) et d'éventuelles menaces.

S'agissant de la confrontation lors d'un procès, le juge Durand donne la métaphore suivante "Un procès n'est pas un terrain vague où tous les coups sont permis".

D'où l'importance par ailleurs de comprendre la stratégie de l'agresseur.

Une approche par le passage à l'acte

Une forme de prévention importante repose justement sur la compréhension de la stratégie de l'agresseur et les mécanismes du passage à l'acte. "Tous les pédocriminels ne sont pas des pédophiles. C'est donc une approche par le passage à l'acte. Le mode opératoire me semble fondamental. Une approche par le jugement éthique du passage à l'acte. Le juge que je suis regretterai de ne pas dire que la seule raison pour laquelle une juridiction pénale peut déclarer un être humain coupable d'une infraction, c'est parce que l'infraction commise résulte d'un choix de la personne qui la commet. Sinon, la personne est pénalement irresponsable. Si la violence est un choix, c'est qu'il est possible de ne pas être violent".

La violence est un choix. La bienveillance est un choix. L'indifférence est aussi un choix. Ce sont des choix éthiques. En cela, ça fait écho à mon échelle de la bienveillance en 3 segments : malveillance, absence de bienveillance et bienveillance.




"C'est ce que la CIIVISE appelle la stratégie de l'agresseur. Comprendre cette stratégie, c'est se rendre capable une stratégie de protection. Sa stratégie résulte d'une recherche de sa proie, il l'isole, il crée un climat de peur et de terreur, il passe à l'acte, il inverse la culpabilité, il impose le silence, il recherche des alliés, il assure son impunité. A chaque étape de la stratégie de l'agresseur, il faut opposer une stratégie de protection." Et c'est que la CIIVISE s'est employée à faire en publiant un fascicule de formation pour les professionnels qui donne étape par étape des conseils, une stratégie commune à tous les professionnels pour contrecarrer la stratégie des agresseurs, qu'ils soient adultes ou enfants (quand il s'agit d'un enfant agressé sexuellement par un autre enfant).

Un raisonnement en partant du cas des enfants handicapés

Les enfants handicapés sont malheureusement plus à risque, et encore plus ceux qui ne sont pas en mesure de s'exprimer. Des proies faciles en quelques sortes pour les agresseurs.

"A partir de cette attention particulière aux enfants handicapés, nous avons construit un raisonnement sur la protection pour tous les enfants."

Le juge Durand évoque 3 grandes dimensions de l'attention et la juste conscience que toutes les parties prenantes doivent avoir :

  • "Dans l'organisation de l'espace (l'architecture) ;
  • Dans le discours des adultes sur l'intimité ;
  • Et dans la pratique de l'adulte dans le respect de l'enfant.

    Rétablir l'idée de bienveillance 

    La CIIVISE, dont son co-président le juge Durand, a pour vocation de rétablir la bienveillance auprès des adultes qui ont été violés et agressés dans leur enfance. Elle l'a fait à travers l'espace ouvert, l'invitation à témoigner, l'écoute, l'empathie et la volonté farouche de porter haut leurs voix, leurs souffrances, leurs besoins.

    Bien évidemment elle est tout autant bienveillante envers les 160 000 enfants qui sont concernés de nos jours par de les violences sexuelles. Et il faut bien comprendre que tous les témoignages des adultes aspirent aussi à que cela cesse pour les enfants d'aujourd'hui, un peu dans le sens "Plus jamais ça !"

    Et c'est bien le sens d'une bonne partie des 182 préconisations de la CIIVISE. Et il s'agit d'une mauvaise foi caractérisée de dire en paraphrasant "La CIIVISE 1 a écouté les adultes, et il est temps maintenant que la CIIVISE 2 s'occupe des enfants". C'est grosso modo ce qui est ressorti des propos de la secrétaire d'Etat et du nouveau co-président pour présenter la CIIVISE 2.

    Mais au-delà du rétablissement de la bienveillance envers les enfants violés et les adultes violés dans leur enfance, je trouve en regardant les vidéos que le juge Durand, par son attitude et ses propos, rétablit ou établit une vision de la bienveillance très éloignée, si ce n'est à l'opposé d'un terme galvaudé, dénué de réalité, sans consistance comme peuvent l'avoir beaucoup.

    Je vois dans la bienveillance manifestée par le juge Durand bon nombre d'aspects que j'ai pu modélisés sur la bienveillance, avec une dimension probablement première : celle de l'exigence. La bienveillance, c'est exigeant, voire super exigeant. Ca nécessite de la dépense d'énergie, de refuser la complaisance, d'affirmer ses croyances, ses valeurs, ses principes, sa doctrine. Ca nécessite aussi de se donner du temps pour écouter, pour l'empathie, pour la compassion, pour une curiosité exploratrice qui permet de mieux comprendre l'autre, de rechercher des bonnes pratiques, de les analyser, de coopérer (alors que souvent, on va plus vite en décidant et agissant seul).

    Je ne pourrais pas être exhaustif dans cet article, mais voici d'autres dimensions de la bienveillance que je décrypte dans les propos du juge Durant :

    • Il fait appel à plusieurs reprises au bon sens, ce qui me semble un ingrédient important de la bienveillance. Le bon sens étant souvent un antidote contre le déni, contre le mensonge à soi-même. 
    • Un bon sens qui va de pair avec l'idée de cohérence. Et notamment la cohérence entre le constat et l'action. On constate l'ampleur du phénomène de l'inceste : il faut agir sans attendre. On constate un cas d'inceste pour un enfant. Il faut le protéger immédiatementIl ne sert pas à grand-chose d'être bienveillant par la pensée et/ou l'intention si cela ne se transforme pas en actes bienveillants. Il ne sert pas grand-chose d'être bienveillant par la parole si cela ne se transforme pas en actes bienveillants.
    • Il y a un terme qu'il n'a pas utilisé, mais qui transpire selon moi dans son attitude : l'humilité. Et dans l'humilité, il y a une bonne part de lucidité, et la juste reconnaissance de sa valeur, de ses valeurs, de ses actes, de ses résultats, en mettant à la juste place sa propre contribution et la contribution d'autrui. Et je suis convaincu que celles et ceux qui l'ont écarté ont vu non pas de l'humilité mais au contraire de l'arrogance et un donneur de leçons. Démontrant ainsi un manque d'empathie et/ou une réaction défensive.
    • La capacité à utiliser le ET d'ouverture et ne pas tomber dans le OU de fermeture. On s'occupe des adultes violés dans l'enfance ET des enfants violés aujourd'hui. 
    • Comme j'ai pu l'expliquer plus haut, il y a aussi la capacité à hiérarchiser, à fixer les priorités, à faire des choix courageux et à les assumer. On protège les enfants avant de mettre l'autorité parentale comme doctrine première. Hiérarchiser renvoie à une capacité qui me semble déterminante : le discernement. Le discernement qui s'appuie sur une grande honnêteté intellectuelle pour éviter le déni.
    • La capacité à confronter, à dénoncer, à dire les choses telles qu'elles sont, non pas de manière accusatrice mais pour faire évoluer les choses vers plus de bienveillance. La bienveillance n'est pas molle. Elle peut être dérangeante. Elle peut déranger la facilité, le confort, une forme de neutralité qui évite de prendre position et d'agir. Je renvoie à mon article La bienveillance : il ne suffit pas de faire du bien et ne pas faire du mal
    • La capacité à prendre soin de soi au même titre que l'on prend soin des autres et des écosystèmes auxquels on appartient. Le juge Durand explique avoir fixé ses conditions pour devenir co-président de la CIIVISE : il a demandé à être co-président à plein temps pour éviter d'avoir à mal faire son travail de juge et son travail de co-président. Je renvoie à mes 4 dimensions indissociables de la bienveillance.
    • Un lien étroit existe entre bienveillance, reconnaissance et confiance. Il y a aussi l'importance de l'appréciation. On voit bien dans les auditions du juge Durand par les députés et sénateurs en quoi se manifeste une appréciation mutuelle ; l'appréciation étant un préalable à la reconnaissance et à la gratitude. La CIIVISE et le juge Durand ont voulu créer un climat de confiance avec les victimes et avec les associations de victimes. Et c'est aussi au nom de cette confiance envers les victimes que la moitié des membres de la CIIVISE et le juge Durand ruent dans les brancards face à la décision du gouvernement, et non par réaction de leur ego. Il est vrai qu'il est tellement facile de leur faire acte d'antipathie en leur renvoyant "Personne n'est indispensable", phrase qui - soit dit en passant - est souvent porteuse de cynisme, de manipulation, de malveillance et de refus de reconnaissance.
    • "La protection est aussi systémique que le déni" a dit le juge Durand. D'une manière plus générale, je promeus aussi l'idée que la bienveillance est aussi systémique que la malveillance, la violence, l'indifférence.
    • Et comme je l'ai exprimé précédemment : la bienveillance est un choix. C'est un choix de doctrine, c'est un choix de société, ce sont des choix dans tous nos actes du quotidien au sein de nos couples, de nos familles, de nos organisations de travail, dans nos associations, dans nos relations amicales, de voisinages, dans tous nos écosystèmes d'appartenance, dans notre rapport à la planète et aux générations futures.


    Bien sûr qu'il eut fallu maintenir et qu'il faut rétablir la CIIVISE dans sa doctrine, et avec le juge Edouard Durand

    En se donnant le temps de regarder une de ces deux vidéos, il me semble que la réponse devient évidente pour qui n'a jamais écouté ou vu le juge Durand.

    A noter à la fin de la vidéo au Sénat, qu'on voit qu'il pressentait son éviction et qu'il a dû être confronté à des résistances et des réactions défensives auprès du gouvernement qui n'a même pas daigné envoyer un de ses membres à la réunion publique de présentation de son rapport en novembre dernier.

    A noter aussi la forte impression qu'il dégage auprès des sénatrices, sénateurs, députées et députés à la fois pour son travail et celui de la CIIVISE. Avec des élus chaque fois exprimant leur soutien du maintien de la CIIVISE (j'y vois aussi implicitement le maintien du juge Durand).

    Je note aussi la réaction de trois sénatrices :

    La première, Colombe BROSSEL (timecode 1:09:05) qui indique "Merci pour ce que vous dites, même si cela peut paraître étrange de remercier quelqu'un qui vous met un uppercut dans le ventre" après l'avoir écouté ET pour autant qui considère que le maintien de la #CIIVISE est indispensable car ses actions relèvent du "bien public"

    La deuxième, Marie MERCIER (timecode 1:15:05) dont on sent qu'elle est particulièrement investie sur le sujet de l'inceste pose la question "Pourquoi faut-il autant d'énergie pour sauver les plus vulnérables d'entre nous ? Une loi a été votée il y a deux ans. Pourquoi on n'arrive pas à protéger les enfants ? On ne peut même plus avoir confiance dans l'application de cette loi. Quand on parle des mineurs, ça reste mineur. On avancera que lorsqu'on aura fait des mineurs une cause majeure. ... Ma seule question est : Monsieur le juge : comment vous allez ? ... On a besoin de vous, on a besoin que vous nous donniez la force de dire tout ça, de continuer de le répandre"

    La troisième, Marie-Claude LERMYTTE ancienne assistante sociale pendant 33 ans pour un département. Elle a exprimé être bousculée par rapport à ses pratiques (Timecode 1:19:55) "J'ai pris une très grosse claque ce matin ... je m'aperçois qu'on ne fait jamais bien ... qu'on est souvent à côté de la plaque même quand on pense être dans le mieux que l'on pourrait faire pour l'enfant".
    ET une sénatrice qui pour autant ne s'est pas braquée par le constat et les préconisations de la CIIVISE. 
    ALORS : c'est très exactement ce type de réaction que l'on devrait attendre selon moi du gouvernement, des institutions, des professionnels. Ne pas se braquer parce que l'on entend des mots qui remettent en cause, non pas pour critiquer mais pour faire évoluer notre société.

    Tout le monde n'est pas forcément d'accord avec toutes les préconisations de la CIIVISE. Et alors ? Cela n'empêche pas d'entrer dans un dialogue, déjà pour essayer de bien se comprendre.

    De mon point de vue, Marie MERCIER plante bien l'enjeu central : pourquoi faut-il autant d'énergie pour faire passer le bon sens : celui de protéger les enfants. ET j'ajoute pourquoi faut-il passer autant d'énergie à devoir dénoncer l'éviction du juge Durand et le détricotage de la doctrine de la CIIVISE ?

    Pour terminer, je vous invite à signer deux pétitions :

    NB : La première pétition a été lancée par le mouvement Mouv'Enfants le 19 novembre 2023, alors que probablement les membres de la CIIVISE sentaient qu'elle pouvait ne pas être maintenue, ni dans sa doctrine, ni dans sa présidence. Ce mouvement a été lancé par Arnaud Gallais, membre de la CIIVISE et cofondateur de Mouv'Enfants. Depuis, l'annonce de la nouvelle orientation de la commission (peut-on encore l'appeler la CIIVISE ?) et de l'éviction du Juge Edouard Durand, cette pétition recueille aussi les réactions des personnes qui désapprouvent la décision du gouvernement et demandent un maintien de la CIIVISE dans sa doctrine et le retour du juge Edouard Durand à la (co)présidence (la co-présidente ayant manifesté son souhait de ne pas être reconduite).

    Aucun commentaire:

    Enregistrer un commentaire

    Article épinglé

    Problème DE bienveillance et AVEC la bienveillance

      Voici un bref constat en deux points sur ce qui ne va pas selon moi avec la bienveillance actuellement dans notre société. Avant d'en ...

    Articles les plus consultés