jeudi 7 mars 2024

La bienveillance aux enfants victimes de violences sexuelles, contrecarrée par l'absurdité et de la surdité

En prenant de la hauteur face au fléau de l'inceste et des violences sexuelles faites aux enfants, et face aux mésaventures invraisemblables vécues par la CIIVISE, la commission en charge de ce fléau, j'observe la conjugaison de deux types de comportements qui font obstacle gravement à la bienveillance

Le premier relève de l'absurdité et le deuxième de la surdité. Et pour chacun d'eux, je vais faire le parallèle entre ces deux niveaux : d'une part, les situations vécues par les enfants victimes de violences sexuelles et par les personnes protectrices, et d'autre part la situation vécue par la CIIVISE et les dégâts collatéraux sur les victimes. J'évoquerai d'autres enjeux de société dans un futur article, car absurdité et surdité sont en réalité légions dans notre société.

Petit rappel du mauvais scénario auquel est confronté la CIIVISE depuis quelques mois

Voici résumé, par le visuel suivant, l'historique des événements marquants à partir de la fin de l'été 2023 :


Un mauvais scénario orchestré par les gouvernements successifs Borne puis Attal qui, par leurs décisions, ont à la fois :

  • stoppé la dynamique extraordinaire installée par l'équipe historique (2021-2023) sachant que chaque jour qui passe, ce sont des enfants qui se font agressés ou violés, 
  • décrédibilisé la commission par le choix et le comportement des co-présidents de la dite CIIVISE2,
  • et ajouté une surcouche d'anéantissement pour les enfants victimes devenus adultes, et notamment chez les 30 000 personnes qui ont eu l'immense courage de témoigner pour aider la commission à élaborer des préconisations qui répondent vraiment aux situations réelles rencontrées par les victimes et les personnes protectrices. Je pense que les deux gouvernements n'ont absolument pas pris la mesure des impacts émotionnels et psychiques de leurs décisions sur des êtres humains qu'ils auraient dû épargner, parce que c'est tout simplement la responsabilité de notre société et de l'Etat.
A ce jour, un mouvement, assez éparpillé, mais conséquent, soutient le retour de la CIIVISE historique.
A contrario, c'est un défi d'aller chercher les voix qui soutiennent les décisions et la persévérance des décisions d'évincer le juge Durand. Il suffit de passer quelques minutes avec un moteur de recherche sur internet et d'observer les réactions sur les réseaux sociaux pour constater l'isolement du gouvernement dans cette affaire. Affaire d'autant plus incompréhensible, qu'aucun argument sérieux n'a jamais été donné sur l'éviction de l'équipe historique. Le seul message en boucle étant de la légèreté d'une plume teintée de cynisme "Ce n'est pas une question de personne, la CIIVISE n'appartient à personne".

L'absurdité comme obstacle de la bienveillance

Voyons la définition du mot "absurde" dans le Larousse :

"Qui est contraire à la raison, au sens commun, qui est aberrant, insensé"
Un mot central que je veux mettre en évidence "Raison". J'évoquerai d'autres mots par la suite, et notamment "Cœur".
L'absurdité, c'est donc quand des décisions formelles ou informelles, ou dans l'automatisme des actions, on va dans un sens illogique, paradoxal.

L'absurdité dans le traitement des affaires d'inceste et de violences sexuelles

Le travail de la CIIVISE historique, relayé par des paroles fortes du juge Edouard Durand a mis en évidence que notre société globalement, et notamment le système judiciaire, se comporte de manière absurde avec les enfants victimes et les personnes protectrices.

Il y a d'abord les paradoxes plusieurs fois évoqués par le juge Durand dans ses prises de parole :
  • On dit aux enfants "Parlez, dites-nous si on vous a fait du mal". Sauf que quand ils prennent la parole, souvent on les soupçonne de mentir, d'être manipulés par leur mère pour faire un mauvais coup au père. Ce soupçon étant justifié par une théorie vaseuse facilement contestable et contestée appelée SAP (Syndrome d'Aliénation Parentale). SAP qui en quelque sorte construit une doctrine catastrophique pour les enfants et les mères protectrices. Et en passant, face à une telle doctrine, heureusement non partagée par beaucoup d'acteurs, il faut donc une doctrine puissante, institutionnalisée pour la mettre à mal. C'est bien la raison pour laquelle la commission a clairement posé dans le slogan qui résume cette doctrine : "On te croit, on te protège".
  • On dit aux mères "C'est votre devoir de protéger vos enfants". Seulement, quand un enfant se confie à sa mère et que la mère veut protéger son enfant, elle se heurte elle aussi au SAP. Et dès lors qu'elle refuse de remettre son enfant à son père agresseur (quand le couple est séparé), elle  prend le risque que l'enfant soit confié au père, et possiblement d'aller elle en prison.
  • On dit aux médecins de faire des signalements quand ils ont connaissance de cas, sauf qu'ils risquent des mesures disciplinaires par l'ordre des médecins selon la façon dont ils auront procédé.
Au-delà des paradoxes, le juge Edouard Durand a mis en avant les enjeux d'une juste hiérarchisation des priorités et à ne pas opposer un principe avec deux autres :
  • Pour l'enfant : le devoir de protection des enfants,
  • Pour le présumé agresseur : la présomption d'innocence,
  • Pour la "sauvegarde" de la famille : le protection de l'institution familiale et l'autorité parentale
Et force est de constater que dans notre société, les deux derniers prennent le pas sur le premier, alors que la priorité des priorités est de protéger l'enfant immédiatement. Dans notre société on cherche d'abord à protéger l'agresseur d'une hypothétique erreur judiciaire avant de protéger l'enfant, en laissant l'affaire d'Outreau polluer notre raison et nous conduire à l'inhibition de l'action.

Pourquoi est-ce absurde ? Il suffit de se reposer sur les statistiques et les études qui ont été menées sur le sujet. Dans la quasi totalité des cas, ce que dit l'enfant s'inscrit dans la réalité (95% des cas selon le pédopsychiatre, médecin légiste et expert auprès des tribunaux Jean-Marc Ben Kemoun qui se réfère à des études anglo-saxonnes). 
En se laissant obnubiler par la présomption d'innocence, pour 5% des agresseurs (au plus, car c'est sans compter sur l'expertise dans l'écoute des enfants qui permet aussi d'écarter des paroles qui ne seraient pas dans la réalité), on laisserait 95% des enfants sans protection ?

De plus, comme le dit le juge Edouard Durand, il ne s'agit pas d'opposer la protection de l'enfant et la présomption d'innocence : il faut avoir une lecture juste de la présomption d'innocence pour qu'elle n'annihile pas le devoir de protection.  C'est le sens notamment de la préconisation n° 26 (et préconisation-clé n°5) du rapport de la CIIVISE :
"Créer une Ordonnance de Sûreté de l’Enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste parental vraisemblable"
Autrement dit, la raison veut et demande qu'en cas de suspicion vraisemblable d'inceste par le père (agresseur non condamné, présumé innocent), le juge peut se prononcer pour que l'enfant ne puisse plus être sous son emprise, entre ses griffes. C'est une raison qui bien entendu protège l'enfant, mais est tellement libératrice pour la mère et l'entourage protecteur. Parce qu'imaginez, vous, lectrice ou lecteur de mon article qui avez la chance de ne pas avoir été dans la situation d'avoir un enfant victime d'inceste ou de violences sexuelles (et j'en fait partie moi aussi) : quelle souffrance insupportable, quel sentiment abyssal d'impuissance si vous deviez remettre votre enfant à son père agresseur (ou à sa mère dont le nouveau conjoint serait l'agresseur), ou pire, voir se mettre la justice en marche pour vous retirer votre enfant et le confier à l'agresseur (ou à la mère dont le conjoint serait l'agresseur) ? Et là, ce n'est plus seulement la raison que ça interpelle, c'est le cœur.

Cette préconisation qui va dans le sens de la prise d'une mesure conservatoire, est d'abord une mesure conservatrice du bon sens.

L'absurdité dans la situation rencontrée par le CIIVISE

Dans mon bref résumé relatant les décisions des gouvernements Borne et Attal de ne pas maintenir la CIIVISE historique apparaît déjà l'absurdité de cette décision. Je vais en dire quelques mots supplémentaires pour évoquer plusieurs dimensions d'absurdité à travers la liste suivante :

  • Quantitativement et qualitativement, la CIIVISE historique a réalisé un travail remarquable salué par les associations, les victimes, au niveau de la représentation nationale (notamment la Délégation aux droits de femmes du Sénat), la presse ... sauf par le gouvernement particulièrement absent comme contributrice à l'applaudimètre. Il est absurde que la CIIVISE et ses membres n'aient pas reçu de signes de reconnaissance.
  • Le gouvernement a été absent de la journée de restitution du rapport public en novembre 2023. Comment ne pas y voir au-delà de l'absence de reconnaissance, un déni de reconnaissance : le gouvernement refuse de s'associer aux conclusions du travail de la CIIVISE, après avoir laissé planer le doute que la CIIVISE pourrait ne pas être maintenue au-delà du 31 décembre 2023
  • Toujours, sur le champ de la reconnaissance, les gouvernements, non seulement n'ont pas remercié les victimes qui ont témoigné, mais ont significativement réduit la place des victimes dans la composition de la dite CIIVISE 2. De plus, ils n'ont visiblement pas anticipé les réactions diverses et variées - notamment des victimes - que pourraient susciter leurs décisions. Le bon sens aurait voulu qu'ils l'intègrent à leurs réflexions.
  • "On ne change pas une équipe qui gagne", un principe de bon sens bien connu de tous qui semble tout à fait convenir à la situation. Et pourtant, les gouvernements sont allés contre ce principe de bon sens.
  • Il est absurde quand on tient vraiment à faire passer une décision à laquelle beaucoup sont opposés de donner un minimum d'arguments qui tiennent la route. 
En résumé, l'absurdité a été l'obstacle de la reconnaissance, de la confiance à l'équipe historique, et de la bienveillance aux victimes.

Le problème de l'absurdité, c'est que quand on persiste dans l'absurdité, on en vient à y ajouter la surdité.

La surdité comme obstacle de la bienveillance

Puisque je me suis offert une transition, je vais inverser l'ordre des deux niveaux évoqués précédemment, et je vais donc continuer dans la foulée avec ...

La surdité dans la situation rencontrée par le CIIVISE

On aurait pu penser que le gouvernement Attal au vu de la levée de bouclier créée par la décision d'éviction de l'équipe historique de la CIIVISE, aurait su entendre les réactions, donner les explications qui n'avaient pas été données, et au mieux revenir sur une décision ; ce qui ne serait pas la première fois sous la 5ème république, d'autant plus à l'occasion d'un changement de gouvernement.

Une double opportunité offerte par la fugace durée de vie de la présidence et de la vice-présidence de la dite CIIVISE 2.

L'impression de surdité persiste en ce 7 mars 2024 depuis le 10 décembre 2024. Ce qui renforce le sentiment d'absurdité. Nous voilà donc dans un cercle vicieux, absurdité, surdité.

Un cercle vicieux qui conduit à un gâchis, à un résultat perdant-perdant pour toutes les parties prenantes.

Quand on se donne les moyens de faire appel à la raison inspirée de bienveillance, on cherche exactement le contraire : un cercle vertueux nourri par la coopération gagnant-gagnant. 

La surdité dans le traitement des affaires d'inceste et de violences sexuelles

J'ai fait référence précédemment au paradoxe auquel est confronté l'enfant : il est invité à parler mais une fois qu'il a parlé, il risque d'être considéré comme un menteur. On veut bien l'entendre, mais ...

  • soit on ne le croit pas,
  • soit on le croit MAIS on ne fait rien pour le protéger ;  et ce, pour les raisons absurdes évoquées précédemment (mauvaise gestion de la présomption d'innocence et de l'autorité parentale) ou par un sentiment d'impuissance face à une institution non ou insuffisamment soutenante, à un système judiciaire qui peut ne pas être protecteur. Ce qui peut conduire à un questionnement "Si je signale, est-ce que je ne vais pas faire plus de mal que de bien ?". Questionnement qui mérite oh combien d'être confronté à d'autres points de vue au risque de prendre une bien mauvaise décision pour l'enfant.
Et quand la libération de la parole ne se transforme pas en acte, c'est comme si l'enfant se heurte à un mur. Il y a là une forme de surdité : "Je viens de te parler mais tu fais comme si tu ne m'avais pas entendu. Parce que si tu m'avais vraiment entendu, tu me protègerais !"

La surdité peut être aussi de l'aveuglement : je ne veux pas voir. Il s'agit ici des situations où une personne suspecte, voire est au courant de violences sexuelles sur un enfant, mais fait semblant de n'avoir rien vu ni rien entendu, oreille cousue, bouche cousue.

On reboucle ainsi souvent avec l'absurdité. Car ce qui motive dans bien des cas cette forme de surdité, c'est le risque de faire exploser la famille, alors qu'en réalité, dès lors qu'il s'agit d'un inceste par un adulte (principalement le père), de fait, l'explosion a déjà eu lieu, même si elle a été silencieuse. 
Un père qui a agressé sexuellement son enfant a symboliquement déchiré son livret de famille. Parce que, anéantir un enfant dans une famille, c'est anéantir cette famille. 
Ce n'est ni l'enfant, ni un entourage familial, ni le voisinage, ni le personnel éducatif, ni le médecin ... qui va signaler l'acte qui sera le destructeur de la famille : c'est l'agresseur. C'est le bon sens et la raison qui le disent.

Donc, là aussi, on observe un cercle vicieux absurdité-surdité. Et c'est bien tout le mérite de la CIIVISE historique d'avoir planté une doctrine forte et 82 préconisations présentées comme un tout pour extirper notre société et nos institutions de ce cercle vicieux et basculer dans un cercle vertueux de bienveillance : raison - cœur. La raison face à l'absurdité, le cœur face à la surdité et au cynisme.



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