dimanche 21 juillet 2024

Ce que j'apprécie devient précieux et induit la bienveillance

Il y a une douzaine d'années, J'ai commencé à découvrir les bienfaits de l'appréciation à la lecture du livre  "Merci ! Quand la gratitude change la vie " de Robert Emmons, reconnu pour être un des spécialistes mondiaux du sujet de la gratitude. 

Au détour d'une page où il évoque les impacts de la gratitude sur le rythme cardiaque, il rapporte que l'appréciation est l'activité qui assure la plus grande régularité du rythme cardiaque.

Quand je me suis moi-même mis à modéliser à mon échelle la gratitude, l'appréciation m'est apparue comme une étape centrale - la deuxième - d'un processus de la gratitude que j'ai modélisé de la façon suivante :



Apprécier & co

Mais avant d'aller plus loin, je vous propose de considérer en quoi le verbe "apprécier" a plusieurs sens possibles (polysémie) :

  1. Un sens voisin du verbe aimer (ou non) : j'apprécie la glace à la vanille et je n'apprécie pas les gens en retard.
  2. Evaluer quantitativement. Ce peut être la valeur vénale d'un bien, d'un objet. Ce peut être une évaluation approximative d'une chose mesurable, et éventuellement très à la louche en utilisant notamment le sens de la vue ; exemple : j'apprécie la distance qui me sépare de cette forêt
  3. Un jugement de valeur que l'on porte sur quelqu'un, quelque chose, un événement, une situation, une action sans que pour autant cela porte conséquence ni pour soi, ni pour autrui
  4. Et puis le sens qui m'intéresse particulièrement : donner de la valeur à un fragment de notre vie, en ressentir une sensation physique agréable qui fait de l'appréciation une émotion positive. Et si ce moment peut être attribué pour tout ou partie à autrui (et c'est souvent le cas dans une approche d'interdépendance de nos vies), alors l'appréciation devient une étape d'un processus de gratitude qui va nous conduire à ressentir l'émotion forte de gratitude, puis à nous donner l'opportunité d'exprimer notre gratitude (cf schéma précédent).
Il y a aussi des mots de la famille du verbe "apprécier" dont je voudrais dire quelques mots :
  • l'adjectif "appréciatif". C'est un mot dont j'ai fait la connaissance quand je me suis intéressé à l'Exploration Appréciative (Appreciative Inquiry), une méthode que j'ai particulièrement utilisée dans le cadre de mon activité professionnelle de sensibilisation et de culture de la Qualité de Vie au Travail. Une méthode qui invite à un voyage collectif qui fait émerger - dans l'utilisation que j'en ai faite - les aspects appréciés de la vie au travail, sans pour autant occulter les améliorations que l'on souhaite et dont on peut être actrice ou acteur, individuellement et collectivement. Mais il s'agit bien d'une exploration biaisée positivement : on ne va pas formuler directement ce qui ne va pas.
  • le nom "appréciation", qui au-delà des sens donnés précédemment fait référence, au pluriel, aux commentaires qui accompagnent les notes données par les enseignants à l'école. Des commentaires qui peuvent avoir un biais positif pour encourager les élèves.
  • l'adjectif "appréciable" dont le sens premier est "qui peut être apprécié", mais qui bien souvent est utilisé en tant que litote avec un "c'est appréciable" qui veut dire en réalité "j'apprécie" ... alors, pourquoi ne pas le dire carrément ?
  • le verbe "réapprécier" utilisé par Daniel Goleman dans son livre "Cultiver l'intelligence relationnelle". Un verbe pour caractériser une action de psychothérapie visant à réévaluer des peurs dans le cadre de phobie pour leur donner progressivement une intensité moins forte. En ce sens, "réapprécier" prend le sens de "déprécier" la peur.
  • et je finis par un cousin éloigné qui a la même racine latine et faisant référence au prix : "précieux". Et j'ai l'idée personnelle qu'apprécier, cela peut être l'opportunité de rendre précieux l'objet de l'appréciation, et donc amener à une prise de conscience qu'il faut y porter attention et en prendre soin. Je reviendrai plus loin dans l'article sur le lien entre appréciation et bienveillance, puis sur la responsabilité de cultiver, protéger voire défendre de manière bienveillante ce qui nous est précieux et qui se dégrade ou est/serait menacé.
Ce sur quoi porte l'appréciation est fortement multiple : quelqu'un, un être vivant autre qu'humain, en général (j'apprécie les chiens) ou en particulier (j'apprécie le ronron de mon chat), à un objet, à une situation, à un acte, à un écosystème d'appartenance, à une aide, à une quantité de travail dépensée, au résultat obtenu, à des qualités, des talents, à tout ce qui met en branle les sens, à un paysage ... 

Et puis, dans cet période post électorale de l'été 2024, il y a quantité de choses que l'on peut apprécier diversement : notre système démocratique, l'égalité entre les femmes et les hommes, notre système social, l'éducation nationale, notre système de santé, nos infrastructures de transport, la préservation de l'environnement, la culture, la laïcité,  ... et pour certains, la place de la France dans le monde, son histoire, les acquis sociaux et ce en quoi peut se dégager une autre émotion : la fierté.

Apprécier concerne le moment présent, le passé, à l'avance dans la perspective d'un moment qui est prévu comme agréable, l'attente de ce moment pouvant être apprécié aussi en soi.

Apprécier la vie

Un jour, j'ai reçu en cadeau une carte au format carte postale avec ces quelques mots : "Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce que l'on possède". Une forme d'antithèse de la société de consommation qui est basée sur le désir de ce qu'on n'a pas.

Quelques temps plus tard, je suis tombé sur quelques mots prononcés par le psychiatre et écrivain Christophe André : "Tout ce dont j'ai besoin est déjà là". Phrase extraite de la 21ème méditation du CD accompagnant son livre "Méditer, jour après jour".

Cette phrase m'en a inspiré une autre dans un style interrogatif :

Je m'en suis expliqué dans l'article du même nom.

Pour répondre à cette question, il s'agit d'entrer dans un travail d'introspection appréciative, et notamment par rapport aux besoins essentiels. L'article en question en dresse une liste proposée par Virginia Henderson en 1947. Il ne s'agit en aucun cas d'une approche de pensée positive (méthode Coué). Car quand quelque chose ne va pas, il n'y a aucune raison de la mettre sous le tapis.

En revanche, quand quelque chose va bien, il est essentiel d'en avoir conscience et de l'apprécier à sa juste valeur. C'est notamment le cas quand on est en bonne santé : il s'agit de grandement l'apprécier et de conduire sa vie pour conserver le plus longtemps possible un niveau de santé qui permet de réaliser les différentes activités auxquelles on tient.

Selon moi, apprécier la vie est la conjugaison 

  1. d'une succession d'appréciations de moments de la vie 
  2. et de moments périodiquement où l'on se pose pour faire le point sur sa vie. 
Et ce à titre individuel et aussi collectivement. C'est un cercle vertueux : plus on se donne le temps d'apprécier, plus on trouve des occasions d'apprécier.

Il s'agit aussi de faire face à un phénomène ambivalent : l'adaptation hédonique (ou hédoniste). L'adaptation hédonique a :

  • un très mauvais côté qui fait que le ressenti positif face à un événement agréable se dissipe plus ou moins rapidement ; y compris ceux qui sont exceptionnellement forts (mariage, diplôme, gain au loto, achat de sa voiture rêvée, ...)
  • un bon côté qui fait que le ressenti négatif face à un événement désagréable se dissipe lui aussi, y compris pour les drames (séparation, perte d'emploi, deuil, ...)

L'appréciation, c'est donc ce qui peut réduire, voire annihiler, l'effet négatif de l'adaptation hédonique par rapport aux événements agréables de notre vie. 

A noter qu'il ne faut pas confondre "appréciation" et "explosion de joie" ou "excitation". Car nous ne pourrions résister à une permanence d'adrénaline. L'appréciation est plutôt génératrice de sérotonine, et c'est donc bon pour le moral, pour l'humeur. 

C'est d'autant plus bénéfique quand l'appréciation est la deuxième étape du processus de gratitude qui va aussi impacter positivement autrui quand la gratitude est exprimée. J'émets tout de même une réserve : il faut que le bénéficiaire soit en capacité de bien recevoir la gratitude. J'imagine que tout le monde a croisé un jour ou l'autre une personne qui se sent gênée ou agacée par les gestes de gratitude qu'on lui donne, ce qui peut refroidir assez vite, voire entraîner des comportements d'ingratitude selon la dynamique "chat échaudé craint l'eau froide".

L'appréciation conduit à la bienveillance

Quand on apprécie quelqu'un, une chose, un écosystème en général, il vient assez spontanément l'envie, le besoin d'en prendre soin, surtout si on se dit qu'il est précieux et/ou rare.

On peut alors activer les deux dynamiques fondamentales de la bienveillance :

  • l'attention et la vigilance ("Veillance" du mot "Bienveillance")
  • et des actions concrètes pour prendre soin de ce quelqu'un, de cette chose ou de cet écosystème, pour lui faire du bien ("Bien" du mot "Bienveillance")



J'ajoute toute de même une petite réserve quant à l'appréciation des personnes : l'appréciation peut créer une dynamique de proximité si une relation s'installe. Or, la proximité peut avoir des impacts négatifs, et on le voit particulièrement dans la dynamique de la relation de couple : il y a un moment où un effet de bascule se joue et où, dans un couple, on se croit autorisé à parler crûment à l'autre (ce n'est pas forcément mutuel), et finalement quelques fois conduire à des situations où la personne avec qui on parle le plus mal, c'est la personne censée être la plus précieuse dans sa vie. Une forme de paradoxe qui existe y compris dans les couples unis.

C'est par l'appréciation que les couples unis peuvent changer ce type de comportement et retrouver plus de douceur et de respect dans leur quotidien ou dans les moments de tension.

Cultiver, protéger, défendre avec bienveillance ce qui nous est précieux

Le Président de la République a évoqué avant le premier tour des législatives 2024 la perspective d'une guerre civile en cas de victoire d'une des deux coalitions "des extrêmes" (propos qui s'ajoutent à toute une séquence depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée Nationale et que bien des commentateurs politiques analysent avec sévérité).

Dans chaque camp, ont été annoncés des programmes d'actions, dont certaines relèvent de la protection ou de la restauration de valeurs ou d'acquis sociaux. Défendre ce qui nous est précieux est donc en sous-texte ou même présenté comme tel. S'il fallait écouter à la lettre le message du Président de la République sur les risques de guerre civile, il s'agirait de sauvegarder la paix civile.

Ce qui est important à mes yeux dans la défense de ce qui est précieux, interroge doublement la bienveillance : 

  1. en quoi cette chose précieuse est plus ou moins ou pas bienveillante, et avec plus ou moins d'exclusion. En contre exemple, la race aryenne nordique (et particulièrement allemande) était précieuse dans l'esprit dérangé d'Hitler, mais avec exclusion radicale qui fait la liaison avec le deuxième point :
  2. et un aspect sur lequel j'insiste souvent parce que souvent escamoté : la méthode utilisée, le comment on restaure, comment on défend cette chose précieuse. Et mon âme, mes pores, et mon cortex préfrontal disent en cœur : il faut s'attacher à adopter un "comment" bienveillant. C'est à dire, tout le contraire du cynisme que l'on cache derrière un pragmatisme bien commode qui revient au principe délétère selon moi : "La fin justifie les moyens" (ou "on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs", ou "œil pour œil, dent pour dent"). Des mouvements illustres de non-violence ont montré que l'on peut faire avancer une société vers plus de bienveillance, AVEC bienveillance.

Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur le caractère précieux de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) et la difficulté que les organisations de l'ESS ont à considérer que les salariés et bénévoles sont aussi précieux que l'objet de ces organisations et que les bénéficiaires, adhérents, sociétaires, et clients. Autrement dit, une organisation dont le projet est explicitement bienveillant, doit aussi être bienveillante pour celles et ceux qui portent le projet, et bienveillante dans sa façon d'opérer en externe et en interne (cf notamment mon article Soyons pressés de bien donner !).

Un exemple de situation : les relations de voisinage

Je rebondis sur un autre élément d'actualité : il y a quelques jours, dans le journal de 20h de France 2, ont été évoqués les querelles de voisinage. 1/4 de la population se plaindrait de problèmes de voisinage, dont par exemple le bruit. La tranquillité, ça m'est personnellement très précieux, comme probablement beaucoup d'autres. Et j'ai vécu une période à l'âge adulte où j'ai été victime du comportement peu respectueux d'un voisin situé à l'étage en dessous de l'appartement que je louais à l'époque. Il n'était pas question que je courbe l'échine, ni que j'en arrive aux mains. J'ai utilisé plusieurs méthodes qui ont été inefficaces et j'ai fini par déménager. La bienveillance ne peut pas assurer à 100% de régler les problèmes. Et la violence ... encore moins. La médiation est une option possible, et elle a été évoquée dans le reportage en question. 

Par contre, ce qui n'a pas été dit dans le reportage, c'est l'importance de cultiver la bienveillance en amont. Par exemple, quand on veut conserver une température supportable de l'air dans son habitation, il faut examiner en quoi les solutions qu'on envisage peuvent avoir une influence négative sur ses voisins et plus globalement sur la planète et le vivant de la planète. Car avoir des voisins avec qui on est en bons termes voire en très bons termes, c'est très précieux. Le contraire peut pourrir la vie au quotidien. 

Considérons deux cas de figure de voisinage opposés, un cercle vicieux et un cercle vertueux :

  • cercle vicieux : je ne m'entends pas bien avec mon voisin, et ça m'est égal que ma façon de vivre chez moi et mes équipements lui apportent des désagréments. Après tout, je suis chez moi. C'est ma liberté. Et lui aussi se permet de m'apporter des désagréments. D'ailleurs, c'est lui qui a commencé (histoire de la poule et de l'oeuf), et c'est un prêté pour un rendu (oeil pour oeil, dent pour dent). Et la situation ne fait qu'empirer d'année en année.
  • cercle vertueux et contagieux : je m'entends bien avec mon voisin, et je l'apprécie d'autant plus que ça n'a pas été le cas avec le voisin précédent. Je fais mien le principe "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Je fais ce qu'il faut pour ne pas lui apporter des désagréments et lui aussi de son côté. Et si cela arrive, on en parle et on régule la situation pour conserver de bonnes relations. Cette bonne entente nous est précieuse et nous semble finalement facile à cultiver car on se sent bien. Elle nous a permis de mutualiser des choses entre nous (outils de jardinage, de bricolage, ...). D'autres voisins se sont inspirés de notre relation de voisinage.

Une condition sine qua non : le facteur temps

Dans le schéma de début d'article figurent des flèches pointillées de couleur verte mettant en évidence que chaque étape de ce processus de gratitude nécessite d'y consacrer du temps.

En effet, dans un monde d'accélération des rythmes et de compétition pour mobiliser notre attention, y compris en dehors de la vie professionnelle, si on ne se donne pas le temps de se poser pour apprécier mille et une choses de la vie quotidienne, on finit par ne plus rien apprécier du tout et à banaliser tous les cadeaux de la vie. Pour reprendre le contenu de la carte postale : l'enjeu est de nous donner du temps et de l'attention à ce qui nous est précieux et que l'on a déjà, plutôt qu'au désir de ce que l'on voudrait posséder et qui nous lassera bien vite une fois la chose possédée ou acquise (encore faut-il arriver à ses fins, et avec quels moyens ?).

Nous donner du temps pour apprécier la vie et les bienfaits de la vie, outre le fait que cela nous fait du bien, nous conduit à changer nos priorités et la façon dont nous remplissons l'agenda de notre vie. 

Nous donner le temps de l'appréciation et de tout les étapes du processus de gratitude évoqué dans le schéma du début de l'article conduit inévitablement à (re)mettre l'essentiel au cœur de notre vie et à lui accorder un juste temps et une juste conscience au détriment des activités qui ne nous nourrissent pas, ne contribuent pas à réaliser nos aspirations les plus profondes et à nous relier avec ce qui nous est le plus précieux.





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