jeudi 24 juillet 2025

Relier Bienveillance, Théorie Polyvagale, Thérapie ACT et Psychologie Positive

Dans le cadre de mes travaux de modélisation sur la bienveillance, je m'appuie sur des connaissances et pratiques très diverses, et ceci, presque chaque jour.

Je vais évoquer dans cet article la façon dont j'aborde la bienveillance à travers une conjugaison de plusieurs prismes : la Théorie Polyvagale, la thérapie ACT (Acceptation et Engagement) et la Psychologie Positive. Des prismes qui me font voir et promouvoir la bienveillance non pas comme une simple notion morale et/ou éthique, mais comme une compétence profondément ancrée dans notre physiologie et une capacité à nous engager avec autrui, et plus largement, avec le monde.

Pour moi, la bienveillance, dans les 4 dimensions "Moi, Je", "Toi et Moi", "Moi dans des Nous" et "Vous en Moi" est l'expression la plus spontanée et la plus pure d'un Système Nerveux Autonome (SNA) régulé, capable de présence, de connexion, d'acceptation et d'engagement authentique. 

C'est l'état dans lequel nous sommes le plus aptes à nous épanouir et à contribuer pleinement à nos écosystèmes d'appartenance.

La Théorie Polyvagale (TPV) comme fondation biologique de la Bienveillance

La Théorie Polyvagale du neuroscientifique, chercheur et professeur en psychiatrie Stephen Porges est une cartographie pour comprendre :

  • comment notre corps réagit au monde (environnement et autres humains à proximité) et au fonctionnement des organes qui le composent
  • et comment ces réactions influencent notre capacité à être bienveillant
Elle nous enseigne que notre système nerveux autonome n'est pas juste un interrupteur "on/off" de stress, mais un système sophistiqué de détection de sécurité (la neuroception qui est inconsciente, permanente et indépendante de notre volonté), avec 3 états activables, un état de connexion et deux états de protection/survie :

  1. Le Nerf Vague Ventral : il agit en situation de sécurité (au sens du SNA et donc une sécurité qui n'est pas forcément objective) et facilite la connexion avec les autres êtres humains, et au-delà, notamment avec les animaux domestiques. C'est notre état de bien-être optimal. Lorsque cette voie est activée, nous sommes dans ce qu'on pourrait appeler un "espace naturel de la bienveillance". Notre cœur est ouvert, notre regard est chaleureux, notre voix est apaisante. Nous nous sentons en sécurité, connectés, empathiques et résilients. C'est dans cet état que la curiosité, la compassion et la créativité (concepts clés de la psychologie positive) sont les plus accessibles. C'est là que l'engagement social – une composante essentielle de la bienveillance – est naturel et nourrissant.
  2. Le Système Sympathique : il agit en situation de danger . Cela se traduit par une mobilisation de nos organes moteurs. C'est notre système d'action, de lutte ou fuite. Quand il s'active, nous sommes en mode protection/survie. Cela se traduit par de l'anxiété, de la colère, de l'irritabilité. Dans cet état, la bienveillance est difficile. Nous sommes centrés sur la survie, et notre capacité à percevoir les besoins d'autrui ou à nous engager avec gentillesse est limitée, voire neutralisée. Dans ce mode, absence de bienveillance et malveillance risquent d'être au RDV.
  3. Le Nerf Vague Dorsal : il agit en situation de danger mortel. Cela se traduit par une immobilisation voire un effondrement. C'est la réponse de "gel", de "faire le mort". On se sent engourdi, déconnecté, sans énergie, désespéré. Là aussi, la bienveillance est aux abonnés absents, car nous sommes alors coupés du monde et de nous-mêmes, incapables de donner ou de recevoir.

A noter que les qualifications de "danger" et de "danger mortel" sont réalisées par le  SNA hors de notre conscience, et donc qu'un danger n'est pas forcément objectif, en encore moins s'il s'agit de la qualification de "danger mortel". Loin s'en faut quand on considère que le SNA "date" de 500 millions d'années où l'environnement était autrement plus dangereux pour les êtres humains que de nos jours. Pour preuve, une petite anecdote personnelle : il m'arrive aléatoirement de me sentir mal (nerf vague dorsal), à la limite du malaise vagal quand on me fait une prise de sang, alors que ma vie n'est pas en danger et alors même que je n'ai aucune appréhension à me faire vampiriser de la sorte.

Pour qui veut cheminer vers plus de bienveillance, il me semble que la clé est de reconnaître ces 3 états, et par ailleurs d'avoir conscience que le SNA évalue l'état à activer dans l'ordre donné précédemment en fonction du danger (du nerf vague ventral jusqu'au nerf vague dorsal en passant par le système sympathique). C'est ce qu'on appelle la "hiérarchie polyvagale" qui peut être représentée par une échelle avec 3 barreaux, le haut de l'échelle correspondant à un état de sécurité et de connexion (au sens du SNA). 

Notre objectif individuel pour nous-mêmes, pour nos interactions et collectivement devrait être de nous aider à passer le plus de temps possible dans l'état ventral vagal, car c'est là que la bienveillance s'épanouit naturellement avec des effets gagnant-gagnant considérables.

La TPV est porteuse de bienveillance dans la mesure où elle invite à l'auto-compassion et la compassion, et notamment dans les situations où une personne se trouve dans l'état vagal dorsal de manière prolongée ou chronique suite à des violences (violences conjugales, inceste). En effet, notre société a tendance à porter des jugements radicaux envers ces personnes, attribuant leur absence ce réaction à un manque de volonté et de courage de s'en sortir, alors que c'est un mécanisme physiologique inconscient et indépendant de la volonté qui est à l'œuvre.

L'ACT (Acceptation et Engagement) pour créer un espace pour la Bienveillance

La thérapie ACT ( Acceptance and Commitment Therapy) nous apprend à cultiver la flexibilité psychologique (et à réduire la rigidité psychologique), essentielle pour la bienveillance. Elle a été fondée par Steven C. Hayes, psychologue clinicien et professeur à l'université du Nevada.

La thérapie ACT est basée sur le développement de la conjugaison de 6 aptitudes (hexaflex) :

  • L'Acceptation : La bienveillance commence par l'acceptation – de soi, de nos imperfections, de nos émotions difficiles. Quand notre système sympathique ou dorsal s'active, l'ACT nous invite à accueillir ces sensations sans jugement, plutôt que de lutter contre elles. "Mon cœur bat vite ==> c'est mon corps qui essaie de me protéger." Cette acceptation réduit la friction interne et libère de l'énergie pour des réponses plus bienveillantes.
  • La Défusion : Nos pensées peuvent être dures envers nous-mêmes ou les autres : "Je suis nul", "Il/elle fait n'importe quoi comme d'habitude." La défusion nous aide à nous distancer de ces pensées souvent polluantes et prédictrices de comportements non bienveillants, à les voir comme de simples mots, et non comme la vérité absolue. En nous libérant de cette emprise, nous pouvons choisir d'agir avec plus de gentillesse.
  • Contact avec le moment présent (Pleine Conscience) : La pleine conscience, pilier de l'ACT, est une porte d'entrée royale vers le vague ventral, et en particulier celle basée sur la respiration ventrale. En nous ancrant dans le présent, nous aidons notre système nerveux à se sentir plus en sécurité, à percevoir les signaux de sécurité autour de nous. C'est la base pour observer avec bienveillance nos propres réactions et celles des autres.
  • Le Soi Observateur : L'ACT nous invite à nous connecter à notre Soi Observateur – la partie de nous qui est consciente de tout ce qui se passe, mais qui reste immuable. Ce point de perspective stable est un lieu de calme et de non-jugement, un refuge polyvagal qui nous permet d'identifier notre état polyvagal du moment, d'aborder nos expériences (et celles des autres) avec plus de compassion et de bienveillance.
  • Les Valeurs : Quelles sont les qualités que nous voulons incarner ? Souvent, la bienveillance, la compassion, la gentillesse, l'empathie sont au cœur de nos valeurs. L'ACT nous aide à identifier ces valeurs et à les utiliser comme une boussole pour nos actions, même lorsque nous nous sentons mal à l'aise.
  • Les Actions Engagées : La bienveillance n'est pas qu'un sentiment et une intention : c'est une action. L'ACT nous pousse à poser des gestes, même petits, alignés avec nos valeurs de bienveillance. Cela peut être de sourire à un étranger, d'écouter attentivement un ami, ou de se pardonner une erreur. Ces actions renforcent nos chemins neuronaux de bienveillance.

La Psychologie Positive pour nourrir la Bienveillance 

La Psychologie Positive a été fondée par Martin Seligman, chercheur en psychologie et professeur à l'Université de Pennsylvanie. Elle met l'accent sur les forces, les émotions positives et les environnements qui nous aident à nous épanouir. Elle enrichit notre compréhension de la bienveillance en tant qu'élément central d'une vie épanouie.

  • Les Émotions positives : La gratitude, la joie, la sérénité, l'inspiration, la curiosité, l'appréciation, ... – ces émotions, lorsqu'elles sont cultivées, signalent à notre système nerveux que nous sommes en sécurité (état ventral vagal). Elles élargissent notre champ de vision et nous rendent plus ouverts à la bienveillance envers nous-mêmes et les autres.
  • Les Forces de caractère : La psychologie positive identifie la gentillesse, l'amour, l'empathie, l'espoir, l'humilité, ... comme des forces de caractère. En nous aidant à reconnaître et à utiliser ces forces, nous renforçons notre capacité innée à être bienveillant.
  • Les Relations positives : Les relations sociales de qualité sont un pilier du bien-être et de la bienveillance. Un système ventral vagal bien régulé facilite ces connexions. Inversement, des interactions bienveillantes nourrissent et renforcent notre vague ventral, créant un cercle vertueux.
  • Le Sens et et les Buts : La recherche de sens et de but (souvent liée à des valeurs altruistes et de bienveillance) est un moteur puissant de bien-être. Agir avec bienveillance nous donne un sens et renforce notre connexion avec la communauté.

La Bienveillance en pratiques : vive l'hybridation !

Avec le prisme de la théorie polyvagale, de la thérapie ACT et de la psychologie posistive, voici quelques champs d'actions pour cheminer vers plus de bienveillance et contribuer à une Société et des Territoires de la Bienveillance :

  • Comprendre notre système nerveux autonome (TPV) : Identifier nos déclencheurs et nos états polyvagaux. Quand notre corps se met-il en mode protection ? Quand est-il dans l'espace de la bienveillance ?
  • Réguler notre système nerveux (TPV) : Apprendre des pratiques (respiration, pleine conscience corporelle, mouvement doux, co-régulation avec les autres) pour nous ramener le plus souvent possible et plus facilement dans notre état ventral vagal.
  • Créer de l'espace pour l'inconfort (ACT) : Développer la capacité d'accueillir les sensations et émotions difficiles qui surviennent lorsque notre système nerveux est activé en mode protection (sympathique ou dorsal), sans les laisser dicter nos actions, et en remettant notre cortex préfrontal dans la partie.
  • Agir en accord avec nos valeurs (ACT) : Identifier ce qui compte vraiment pour nous en matière de bienveillance, et poser des actions concrètes, même petites, qui reflètent ces valeurs. Identifier nos valeurs peut aussi nous aider à cerner les situations où notre SNA aurait détecté une menace au-delà de notre conscience parce que nous serions dans la dissonance par rapport à nos valeurs explicites ou implicites (éventuellement très enfouies).
  • Cultiver les forces (Psychologie Positive) : Reconnaître et renforcer nos propres capacités de compassion, d'empathie et de gentillesse. Toutes les forces qui contribuent à notre cheminement vers plus de bienveillance.
  • Nourrir les émotions positives (Psychologie Positive) : Pratiquer l'appréciation, le contentement, la gratitude, la joie pour renforcer notre résilience et notre ouverture à la bienveillance.

En combinant la sagesse du corps et la flexibilité physiologique (Polyvagale), la flexibilité de l'esprit (ACT) et la puissance des forces humaines (Psychologie Positive), la bienveillance cesse d'être une aspiration lointaine ou une utopie, pour devenir une compétence incarnée, un chemin praticable vers une vie plus riche, plus significative et plus connectée, dans une approche gagnant-gagnant.


lundi 14 avril 2025

Apprendre le B.A.-BA de la bienveillance - Partie 1

 


La bienveillance est un cheminement. Un cheminement où l'on expérimente ET aussi un cheminement où l'on répond à des besoins d'apprentissage en terme de savoir, de savoir-être et de savoir-faire.

Je vous propose dans cette première partie d'amorcer une réflexion sur pourquoi nous pouvons avoir besoin d'apprentissage en matière de bienveillance. J'indique que cet article reprend dans sa première section des éléments de réflexion que j'ai présentés dans l'article (Ré)apprendre le B.A.-BA pour plus d’humanité et de démocratie au travail sur laqvt.fr, relatif à la Qualité de Vie au Travail en 2018.

mercredi 26 mars 2025

Les enjeux pour le cocon de la bienveillance - Partie 1

Enjeux du Cocon de la bienveillance

Cet article présente une première partie des enjeux de l'outil de "Cocon de la bienveillance" que j'ai créé pour aider à la culture de la bienveillance pendant des réunions, quelle que soit la sphère de vie.

Dans un cadre de sécurité ou de confiance, quand on évoque le mot "bienveillance", chaque participant a sa propre vision. La bienveillance peut même être non pertinente pour certains pour des raisons évoquées dans la partie "Accordons-nous !" de la page de référence. Elles relèvent parfois de croyances limitantes ou d'effet "chat échaudé craint l'eau froide" au regard de ce que certaines personnes ont pu souffrir d'une utilisation abusive et/ou manipulatrice de ce mot.

jeudi 20 mars 2025

La bienveillance dans le rapport sur le bonheur 2025 de l'ONU

Bienveillance et rapport bonheur 2025 ONU

En ce jeudi 20 mars 2025, journée internationale du bonheur (instituée par l'ONU en 2012, et dont la première édition a eu lieu le 20 mars 2013), voici ma publication du jour explorant les liens entre la bienveillance et le bonheur dans l'édition 2025 du rapport mondial du bonheur publié par l'ONU.

J'ai consacré sur mon blog lesverbesdubonheur.fr l'article 20 mars 2025 : journée internationale du bonheur aux principaux enseignements de ce rapport.

Dans le présent article, je traite plus en détails deux points qui m'ont particulièrement marqué en matière de bienveillance dans ce rapport :

  • La sous-estimation de la perception de la bienveillance que l'on peut attendre d'autrui, et les actions que l'on peut mener pour une faciliter une plus juste estimation,
  • 3 conditions pour que les actes bienveillants soient plus bénéfiques pour le bonheur (ou bien-être psychologique pour qui le mot "bonheur" serait urticant)

dimanche 19 janvier 2025

Le cercle vertueux Bienveillance - Sérotonine

 

Cercle vertueux Bienveillance - Sérotonine
Ma lecture du dernier livre de Sébastien Bohler "Striatum" m'a fait replonger dans un sujet que j'avais déjà effleuré dans mes lectures : les neurotransmetteurs, et plus précisément dans "Striatum" sur la dopamine au centre du système de la récompense très activé par cette partie ancienne de notre cerveau.

La production frénétique de la dopamine participe à des comportements humains qui sont destructeurs de notre planète et peu attentif aux êtres humains qui nous entourent.

Par contre, un autre neurotransmetteur fait bon ménage avec une bienveillance ouverte à tout ce qui nous entoure et à nous-mêmes : la sérotonine.

Si la bienveillance, en tant qu'état d'esprit et ensemble de comportements, n'agit pas directement sur la production biochimique de sérotonine dans notre cerveau, en revanche, elle influence des facteurs psychologiques et comportementaux qui, eux, ont un impact positif sur les niveaux de sérotonine. En effet, la bienveillance n'est pas un précurseur direct de la sérotonine comme c'est le cas du tryptophane, mais elle crée un environnement qui peut stimuler sa production et sa libération.

Cet article a pour objectif de considérer l'existence d'un cercle vertueux entre la bienveillance telle que je l'ai modélisée et la sérotonine. Je vais évoquer successivement le lien entre la bienveillance et la sérotonine et puis la relation inverse.

dimanche 22 décembre 2024

Bienveillance : Résonance entre Pourquoi, Comment et Quoi

Bienveillance : Résonance entre Pourquoi, Comment et Quoi

La bienveillance est une valeur fondamentale qui mérite de s'exprimer pleinement dans toutes les strates de notre société, de l’individu jusqu’à l’humanité toute entière, en passant par toutes les échelles de collectifs et de communautés. Elle constitue également un guide pour la détermination de nos actions et la façon de les mener, dans nos sphères de vie personnelle professionnelle et sociale.

La bienveillance s’inscrit dans une démarche globale à la fois exigeante, stimulante et réconfortante dans le monde d’aujourd’hui. 

Elle nécessite une dynamique subtile de recherche de cohérence entre les motivations - le “Pourquoi” -, les actions - le “Quoi” - et la manière dont elles sont mises en musique - le “Comment”.

Je vais les évoquer dans l’ordre “Pourquoi”, “Comment” et “Quoi”, et j’expliquerai ce choix.

dimanche 21 juillet 2024

Ce que j'apprécie devient précieux et induit la bienveillance

Il y a une douzaine d'années, J'ai commencé à découvrir les bienfaits de l'appréciation à la lecture du livre  "Merci ! Quand la gratitude change la vie " de Robert Emmons, reconnu pour être un des spécialistes mondiaux du sujet de la gratitude. 

Au détour d'une page où il évoque les impacts de la gratitude sur le rythme cardiaque, il rapporte que l'appréciation est l'activité qui assure la plus grande régularité du rythme cardiaque.

Quand je me suis moi-même mis à modéliser à mon échelle la gratitude, l'appréciation m'est apparue comme une étape centrale - la deuxième - d'un processus de la gratitude que j'ai modélisé de la façon suivante :

Ce que j'apprécie devient précieux et induit la bienveillance

Apprécier & co

Mais avant d'aller plus loin, je vous propose de considérer en quoi le verbe "apprécier" a plusieurs sens possibles (polysémie) :

  1. Un sens voisin du verbe aimer (ou non) : j'apprécie la glace à la vanille et je n'apprécie pas les gens en retard.
  2. Evaluer quantitativement. Ce peut être la valeur vénale d'un bien, d'un objet. Ce peut être une évaluation approximative d'une chose mesurable, et éventuellement très à la louche en utilisant notamment le sens de la vue ; exemple : j'apprécie la distance qui me sépare de cette forêt
  3. Un jugement de valeur que l'on porte sur quelqu'un, quelque chose, un événement, une situation, une action sans que pour autant cela porte conséquence ni pour soi, ni pour autrui
  4. Et puis le sens qui m'intéresse particulièrement : donner de la valeur à un fragment de notre vie, en ressentir une sensation physique agréable qui fait de l'appréciation une émotion positive. Et si ce moment peut être attribué pour tout ou partie à autrui (et c'est souvent le cas dans une approche d'interdépendance de nos vies), alors l'appréciation devient une étape d'un processus de gratitude qui va nous conduire à ressentir l'émotion forte de gratitude, puis à nous donner l'opportunité d'exprimer notre gratitude (cf schéma précédent).
Il y a aussi des mots de la famille du verbe "apprécier" dont je voudrais dire quelques mots :
  • l'adjectif "appréciatif". C'est un mot dont j'ai fait la connaissance quand je me suis intéressé à l'Exploration Appréciative (Appreciative Inquiry), une méthode que j'ai particulièrement utilisée dans le cadre de mon activité professionnelle de sensibilisation et de culture de la Qualité de Vie au Travail. Une méthode qui invite à un voyage collectif qui fait émerger - dans l'utilisation que j'en ai faite - les aspects appréciés de la vie au travail, sans pour autant occulter les améliorations que l'on souhaite et dont on peut être actrice ou acteur, individuellement et collectivement. Mais il s'agit bien d'une exploration biaisée positivement : on ne va pas formuler directement ce qui ne va pas.
  • le nom "appréciation", qui au-delà des sens donnés précédemment fait référence, au pluriel, aux commentaires qui accompagnent les notes données par les enseignants à l'école. Des commentaires qui peuvent avoir un biais positif pour encourager les élèves.
  • l'adjectif "appréciable" dont le sens premier est "qui peut être apprécié", mais qui bien souvent est utilisé en tant que litote avec un "c'est appréciable" qui veut dire en réalité "j'apprécie" ... alors, pourquoi ne pas le dire carrément ?
  • le verbe "réapprécier" utilisé par Daniel Goleman dans son livre "Cultiver l'intelligence relationnelle". Un verbe pour caractériser une action de psychothérapie visant à réévaluer des peurs dans le cadre de phobie pour leur donner progressivement une intensité moins forte. En ce sens, "réapprécier" prend le sens de "déprécier" la peur.
  • et je finis par un cousin éloigné qui a la même racine latine et faisant référence au prix : "précieux". Et j'ai l'idée personnelle qu'apprécier, cela peut être l'opportunité de rendre précieux l'objet de l'appréciation, et donc amener à une prise de conscience qu'il faut y porter attention et en prendre soin. Je reviendrai plus loin dans l'article sur le lien entre appréciation et bienveillance, puis sur la responsabilité de cultiver, protéger voire défendre de manière bienveillante ce qui nous est précieux et qui se dégrade ou est/serait menacé.
Ce sur quoi porte l'appréciation est fortement multiple : quelqu'un, un être vivant autre qu'humain, en général (j'apprécie les chiens) ou en particulier (j'apprécie le ronron de mon chat), à un objet, à une situation, à un acte, à un écosystème d'appartenance, à une aide, à une quantité de travail dépensée, au résultat obtenu, à des qualités, des talents, à tout ce qui met en branle les sens, à un paysage ... 

Et puis, dans cet période post électorale de l'été 2024, il y a quantité de choses que l'on peut apprécier diversement : notre système démocratique, l'égalité entre les femmes et les hommes, notre système social, l'éducation nationale, notre système de santé, nos infrastructures de transport, la préservation de l'environnement, la culture, la laïcité,  ... et pour certains, la place de la France dans le monde, son histoire, les acquis sociaux et ce en quoi peut se dégager une autre émotion : la fierté.

Apprécier concerne le moment présent, le passé, à l'avance dans la perspective d'un moment qui est prévu comme agréable, l'attente de ce moment pouvant être apprécié aussi en soi.

Apprécier la vie

Un jour, j'ai reçu en cadeau une carte au format carte postale avec ces quelques mots : "Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce que l'on possède". Une forme d'antithèse de la société de consommation qui est basée sur le désir de ce qu'on n'a pas.

Quelques temps plus tard, je suis tombé sur quelques mots prononcés par le psychiatre et écrivain Christophe André : "Tout ce dont j'ai besoin est déjà là". Phrase extraite de la 21ème méditation du CD accompagnant son livre "Méditer, jour après jour".

Cette phrase m'en a inspiré une autre dans un style interrogatif :

Je m'en suis expliqué dans l'article du même nom.

Pour répondre à cette question, il s'agit d'entrer dans un travail d'introspection appréciative, et notamment par rapport aux besoins essentiels. L'article en question en dresse une liste proposée par Virginia Henderson en 1947. Il ne s'agit en aucun cas d'une approche de pensée positive (méthode Coué). Car quand quelque chose ne va pas, il n'y a aucune raison de la mettre sous le tapis.

En revanche, quand quelque chose va bien, il est essentiel d'en avoir conscience et de l'apprécier à sa juste valeur. C'est notamment le cas quand on est en bonne santé : il s'agit de grandement l'apprécier et de conduire sa vie pour conserver le plus longtemps possible un niveau de santé qui permet de réaliser les différentes activités auxquelles on tient.

Selon moi, apprécier la vie est la conjugaison 

  1. d'une succession d'appréciations de moments de la vie 
  2. et de moments périodiquement où l'on se pose pour faire le point sur sa vie. 
Et ce à titre individuel et aussi collectivement. C'est un cercle vertueux : plus on se donne le temps d'apprécier, plus on trouve des occasions d'apprécier.

Il s'agit aussi de faire face à un phénomène ambivalent : l'adaptation hédonique (ou hédoniste). L'adaptation hédonique a :

  • un très mauvais côté qui fait que le ressenti positif face à un événement agréable se dissipe plus ou moins rapidement ; y compris ceux qui sont exceptionnellement forts (mariage, diplôme, gain au loto, achat de sa voiture rêvée, ...)
  • un bon côté qui fait que le ressenti négatif face à un événement désagréable se dissipe lui aussi, y compris pour les drames (séparation, perte d'emploi, deuil, ...)
Bienveillance : Adaptation hédonique

L'appréciation, c'est donc ce qui peut réduire, voire annihiler, l'effet négatif de l'adaptation hédonique par rapport aux événements agréables de notre vie. 

A noter qu'il ne faut pas confondre "appréciation" et "explosion de joie" ou "excitation". Car nous ne pourrions résister à une permanence d'adrénaline. L'appréciation est plutôt génératrice de sérotonine, et c'est donc bon pour le moral, pour l'humeur. 

C'est d'autant plus bénéfique quand l'appréciation est la deuxième étape du processus de gratitude qui va aussi impacter positivement autrui quand la gratitude est exprimée. J'émets tout de même une réserve : il faut que le bénéficiaire soit en capacité de bien recevoir la gratitude. J'imagine que tout le monde a croisé un jour ou l'autre une personne qui se sent gênée ou agacée par les gestes de gratitude qu'on lui donne, ce qui peut refroidir assez vite, voire entraîner des comportements d'ingratitude selon la dynamique "chat échaudé craint l'eau froide".

L'appréciation conduit à la bienveillance

Quand on apprécie quelqu'un, une chose, un écosystème en général, il vient assez spontanément l'envie, le besoin d'en prendre soin, surtout si on se dit qu'il est précieux et/ou rare.

On peut alors activer les deux dynamiques fondamentales de la bienveillance :

  • l'attention et la vigilance ("Veillance" du mot "Bienveillance")
  • et des actions concrètes pour prendre soin de ce quelqu'un, de cette chose ou de cet écosystème, pour lui faire du bien ("Bien" du mot "Bienveillance")
Bienveillance : 2 dynamiques en un cercle vertueux



J'ajoute toute de même une petite réserve quant à l'appréciation des personnes : l'appréciation peut créer une dynamique de proximité si une relation s'installe. Or, la proximité peut avoir des impacts négatifs, et on le voit particulièrement dans la dynamique de la relation de couple : il y a un moment où un effet de bascule se joue et où, dans un couple, on se croit autorisé à parler crûment à l'autre (ce n'est pas forcément mutuel), et finalement quelques fois conduire à des situations où la personne avec qui on parle le plus mal, c'est la personne censée être la plus précieuse dans sa vie. Une forme de paradoxe qui existe y compris dans les couples unis.

C'est par l'appréciation que les couples unis peuvent changer ce type de comportement et retrouver plus de douceur et de respect dans leur quotidien ou dans les moments de tension.

Cultiver, protéger, défendre avec bienveillance ce qui nous est précieux

Le Président de la République a évoqué avant le premier tour des législatives 2024 la perspective d'une guerre civile en cas de victoire d'une des deux coalitions "des extrêmes" (propos qui s'ajoutent à toute une séquence depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée Nationale et que bien des commentateurs politiques analysent avec sévérité).

Dans chaque camp, ont été annoncés des programmes d'actions, dont certaines relèvent de la protection ou de la restauration de valeurs ou d'acquis sociaux. Défendre ce qui nous est précieux est donc en sous-texte ou même présenté comme tel. S'il fallait écouter à la lettre le message du Président de la République sur les risques de guerre civile, il s'agirait de sauvegarder la paix civile.

Ce qui est important à mes yeux dans la défense de ce qui est précieux, interroge doublement la bienveillance : 

  1. en quoi cette chose précieuse est plus ou moins ou pas bienveillante, et avec plus ou moins d'exclusion. En contre exemple, la race aryenne nordique (et particulièrement allemande) était précieuse dans l'esprit dérangé d'Hitler, mais avec exclusion radicale qui fait la liaison avec le deuxième point :
  2. et un aspect sur lequel j'insiste souvent parce que souvent escamoté : la méthode utilisée, le comment on restaure, comment on défend cette chose précieuse. Et mon âme, mes pores, et mon cortex préfrontal disent en cœur : il faut s'attacher à adopter un "comment" bienveillant. C'est à dire, tout le contraire du cynisme que l'on cache derrière un pragmatisme bien commode qui revient au principe délétère selon moi : "La fin justifie les moyens" (ou "on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs", ou "œil pour œil, dent pour dent"). Des mouvements illustres de non-violence ont montré que l'on peut faire avancer une société vers plus de bienveillance, AVEC bienveillance.

Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur le caractère précieux de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) et la difficulté que les organisations de l'ESS ont à considérer que les salariés et bénévoles sont aussi précieux que l'objet de ces organisations et que les bénéficiaires, adhérents, sociétaires, et clients. Autrement dit, une organisation dont le projet est explicitement bienveillant, doit aussi être bienveillante pour celles et ceux qui portent le projet, et bienveillante dans sa façon d'opérer en externe et en interne (cf notamment mon article Soyons pressés de bien donner !).

Un exemple de situation : les relations de voisinage

Je rebondis sur un autre élément d'actualité : il y a quelques jours, dans le journal de 20h de France 2, ont été évoqués les querelles de voisinage. 1/4 de la population se plaindrait de problèmes de voisinage, dont par exemple le bruit. La tranquillité, ça m'est personnellement très précieux, comme probablement beaucoup d'autres. Et j'ai vécu une période à l'âge adulte où j'ai été victime du comportement peu respectueux d'un voisin situé à l'étage en dessous de l'appartement que je louais à l'époque. Il n'était pas question que je courbe l'échine, ni que j'en arrive aux mains. J'ai utilisé plusieurs méthodes qui ont été inefficaces et j'ai fini par déménager. La bienveillance ne peut pas assurer à 100% de régler les problèmes. Et la violence ... encore moins. La médiation est une option possible, et elle a été évoquée dans le reportage en question. 

Par contre, ce qui n'a pas été dit dans le reportage, c'est l'importance de cultiver la bienveillance en amont. Par exemple, quand on veut conserver une température supportable de l'air dans son habitation, il faut examiner en quoi les solutions qu'on envisage peuvent avoir une influence négative sur ses voisins et plus globalement sur la planète et le vivant de la planète. Car avoir des voisins avec qui on est en bons termes voire en très bons termes, c'est très précieux. Le contraire peut pourrir la vie au quotidien. 

Considérons deux cas de figure de voisinage opposés, un cercle vicieux et un cercle vertueux :

  • cercle vicieux : je ne m'entends pas bien avec mon voisin, et ça m'est égal que ma façon de vivre chez moi et mes équipements lui apportent des désagréments. Après tout, je suis chez moi. C'est ma liberté. Et lui aussi se permet de m'apporter des désagréments. D'ailleurs, c'est lui qui a commencé (histoire de la poule et de l'oeuf), et c'est un prêté pour un rendu (oeil pour oeil, dent pour dent). Et la situation ne fait qu'empirer d'année en année.
  • cercle vertueux et contagieux : je m'entends bien avec mon voisin, et je l'apprécie d'autant plus que ça n'a pas été le cas avec le voisin précédent. Je fais mien le principe "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Je fais ce qu'il faut pour ne pas lui apporter des désagréments et lui aussi de son côté. Et si cela arrive, on en parle et on régule la situation pour conserver de bonnes relations. Cette bonne entente nous est précieuse et nous semble finalement facile à cultiver car on se sent bien. Elle nous a permis de mutualiser des choses entre nous (outils de jardinage, de bricolage, ...). D'autres voisins se sont inspirés de notre relation de voisinage.

Une condition sine qua non : le facteur temps

Dans le schéma de début d'article figurent des flèches pointillées de couleur verte mettant en évidence que chaque étape de ce processus de gratitude nécessite d'y consacrer du temps.

En effet, dans un monde d'accélération des rythmes et de compétition pour mobiliser notre attention, y compris en dehors de la vie professionnelle, si on ne se donne pas le temps de se poser pour apprécier mille et une choses de la vie quotidienne, on finit par ne plus rien apprécier du tout et à banaliser tous les cadeaux de la vie. Pour reprendre le contenu de la carte postale : l'enjeu est de nous donner du temps et de l'attention à ce qui nous est précieux et que l'on a déjà, plutôt qu'au désir de ce que l'on voudrait posséder et qui nous lassera bien vite une fois la chose possédée ou acquise (encore faut-il arriver à ses fins, et avec quels moyens ?).

Nous donner du temps pour apprécier la vie et les bienfaits de la vie, outre le fait que cela nous fait du bien, nous conduit à changer nos priorités et la façon dont nous remplissons l'agenda de notre vie. 

Nous donner le temps de l'appréciation et de tout les étapes du processus de gratitude évoqué dans le schéma du début de l'article conduit inévitablement à (re)mettre l'essentiel au cœur de notre vie et à lui accorder un juste temps et une juste conscience au détriment des activités qui ne nous nourrissent pas, ne contribuent pas à réaliser nos aspirations les plus profondes et à nous relier avec ce qui nous est le plus précieux.





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